"Si la capacité des cons à s'auto-éliminer ne doit pas être négligée, la volonté effarante du monde moderne et de l'Etat-providence à les sauver rend vain tout espoir de sélection naturelle"

"Il y a deux aristocraties : celle du haut et celle du bas. Entre les deux, il y a nous, qui faisons la force de la France.

jeudi 13 janvier 2011

Un peu de recul avant le match – I

Mardi dernier, le billet de Didier Goux (je trouve que je le cite un peu trop celui-là) "Mélanchon-Le Pen, le vrai match de 2012" commençait ainsi :
"- Savoir qui, de Nicolas Sarkozy ou du candidat socialiste, sera le prochain président de la République n'a pas grand intérêt"…

Effectivement ; là n’est pas le nœud de nos problèmes. Et son propos me suggère de prendre un peu de hauteur en relayant ici deux textes très différents. Commençons aujourd’hui par le plus long, l’intervention de Pierre de Lauzun le 17 novembre dernier (table ronde de la Fondation de Service Politique sur le thème : "Nicolas Sarkozy, les engrenages d’une politique incertaine") :
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Au-delà des perspectives politiques immédiates, ce qui frappe dans la classe politique en général et en premier lieu chez le président Sarkozy, est l’absence d’analyse structurelle de la société et des causes profondes de ses déséquilibres. D’où résulte l’incapacité à définir un projet réellement mobilisateur.

Le modèle social

En matière économique et sociale nous relevons trois grands axes de questionnement. Le premier est bien sûr le modèle social. C’est un problème de base : il est essentiel pour l’identité collective des Français et notamment le sens qu’ils donnent à la solidarité nationale, mais il est fondé en grande partie sur des mythes, certes importants émotivement, mais bloquants. Nous en soulignerons trois : le mythe de l’acquis social ; celui du rôle de l’État ; et celui de l’égalité. Quand nous disons mythe, cela ne pas veut dire que la base émotive sous-jacente n’est pas justifiée dans son intention première, mais que la forme qu’elle prend est celle d’une illusion conduisant à une impasse.

Le mythe de l’acquis social par exemple se fonde sur la représentation d’une échelle linéaire du progrès faisant évoluer constamment les curseurs dans le même sens, faute de quoi il y a régression. Or d’une part l’évolution d’autres facteurs (comme la durée de vie par rapport à la retraite à 60 ans) conduit naturellement à la remettre en cause. D’autre part et surtout une telle garantie ne peut jamais être considérée comme acquise. En fait ce qui a un sens dans la solidarité est le fait d’être solidaire au vu de ce qu’il est possible de faire à un moment donné, nullement qu’on construit une société radieuse garantissant à chacun que tout ce qui est acquis l’est pour la fin des temps.

Le rôle de l’État ensuite, comme garant universel, repose sur un modèle de société irréaliste et au fond non désirable dans laquelle c’est l’État qui régule l’ensemble de la société et lui donne sa seule véritable signification. Or non seulement c’est une grave amputation de la liberté des citoyens et des communautés naturelles, mais c’est intenable sur la durée, ne serait-ce que parce que cela aboutit à la paralysie de l’État lui-même, soumis de ce fait à trop d’exigences contradictoires. Comme on sait, le rôle de l’État est le bien commun de l’ensemble de la société composée de personnes et de communautés multiples, nullement une prise en charge universelle de cette société.

La passion de l’égalité enfin suscite une grande intensité émotionnelle, mais elle est aussi et surtout source de frustrations constantes notamment parce qu’elle se heurte directement à l’incapacité pratique de faire une mesure réaliste de cette égalité et a fortiori de la mettre en pratique. Sans compter que la liberté reconnue par ailleurs crée naturellement un niveau appréciable d’inégalité. Le tout conduit en outre à une conception schizophrénique de la justice, déchirée entre l’idée qu’elle se confond avec l’égalité et celle, contradictoire, qu’elle implique proportion entre les services rendus, évidemment inégaux, et leur récompense. Or si le terme égalité a un sens, c’est par rapport à la possibilité autant que possible ouverte à chaque personne humaine, selon ses possibilités et sa position dans la société, de s’épanouir s’il le souhaite réellement ; cela n’a rien à voir avec un exercice d’impérialisme arithmétique.

Ces incohérences de fond du système le rendent incapable de prendre la mesure de lui-même, même si l’on fait abstraction de toutes les pressions externes qui agissent sur lui, pourtant par ailleurs énormes comme bien sûr la mondialisation. L’exemple des retraites est ici caricatural. Rappelons que la question, pourtant centrale, n’était pas dans les programmes électoraux de 2010. Il y a ici une sorte de volonté résolue de préserver les tabous et les a priori devant des évidences pourtant simples et aisément compréhensibles de tous, qui est symptomatique d’un problème plus structurel, d’une crise des références collectives.

Naturellement le problème ne se limite pas au système social au sens étroit : on le retrouve notamment dans la question de l’éducation, dont il faut souligner l’urgence, mais qui ne fait l’objet d’aucune réforme véritablement structurelle alors que l’Education nationale patauge dans l’inefficience, l’inégalité et la destruction organisée de la culture. On pourrait y ajouter l’immigration et bien d’autres sujets. Ce qui frappe dans tous ces cas est que les mythes ambiants ont un pouvoir suffisant non seulement pour bloquer les solutions, mais pour inhiber la capacité même à poser véritablement les problèmes dans toutes leurs dimensions, et pour les réduire à quelques débats idéologiquement acceptables et dont la violence émotionnelle n’a d’égale que l’étroitesse artificielle du champ ainsi débattu.

La question européenne

Un deuxième grand champ est ensuite celui de l’Europe, qui révèle les mêmes symptômes. À côté de positions réflexes saines de certains comme la réticence à faire entrer la Turquie dans un contexte de civilisation, d’histoire et de solidarité qui n’est pas le sien, on retrouve la même incapacité à faire face aux problèmes structurels par blocage idéologique et abus des tabous. Ce dont témoigne par exemple le tour de passe-passe du traité de Lisbonne, visant à créer un ancrage supposé populaire mais contre une volonté exprimée dans des référendums incontestables, et donc en évitant tout contact avec le peuple.

Cette capacité de cécité a été encore mise en évidence par la crise de la zone euro. Il faut souligner l’extrême gravité de la signification de cette crise, qui va bien au-delà d’un problème technique ou d’un de ces spasmes qui agitent sporadiquement les marchés financiers. Ici aussi le mythe en cause était celui de l’acquis, ici acquis communautaire : l’idée que l’Union construit par étapes irréversibles un avenir planifié.

Or ce que la crise a montré c’est la faiblesse de la base même de la construction commune : une même monnaie est utilisée par des pays extrêmement différents, dont les processus politiques, essentiels pour la définition de la politique économique, sont exclusivement nationaux ; les mécanismes de garantie mutuelle n’étant (comme il est logique de s’y attendre) absolument pas à la mesure de ce que signifie la mise en commun d’un outil aussi essentielle que la monnaie (et ils le restent aujourd’hui malgré les mesures prises). C’est pourtant cet outil qui est supposé représenter un horizon indépassable.

La mondialisation

Le troisième grand champ à considérer est bien entendu le monde ou plutôt la mondialisation. On voit bien le besoin d’une régulation globale de cet ensemble de plus en plus interconnecté et interagissant. Mais la mise en œuvre s’avère autrement plus difficile que les utopistes ne l’expliquent. Le G 20 par exemple est sans doute une bonne chose dans son principe. Mais si on en attend une régulation globale rationnelle et responsable, on va bien au-delà de ce que peut donner cette enceinte qui ne peut faire que des choses bien délimitées, fruits de négociations pures dans lesquelles la prise en compte de la rationalité objective ne joue qu’un rôle limité ; et où , moins encore qu’en Europe, personne n’est responsable de la planète prise dans son ensemble, ni devant elle ; et cela vaut non seulement pour des questions de souveraineté essentielles comme les monnaies mais aussi de la régulation financière. Et même si un accord est trouvé, la mise en œuvre peut être tellement différente selon les zones que la régulation commune a en fait créé plus de distorsions qu’elle n’en a éliminées : l’exemple des bonus est sur ce plan notable.

En pratique donc on régule ce qu’on a pu se mettre sous la dent, et tant pis si les effets vont être très différents selon les régions concernées. Il est d’ailleurs remarquable que ce niveau international s’intéresse plus aux institutions financières qu’aux marchés, alors que ces deniers sont plus centraux dans la création et la dissémination des crises. Mais leur régulation d’ensemble serait autrement ambitieuse et donc hors de portée : on régule ce qu’on peut et comme on peut.

L’injuste dette

Un dernier point essentiel à relever : comme le modèle politique ne parvient pas à traiter véritablement les problèmes posés à lui, puisque l’absence de références communes sur le fond empêche la mise en place de politiques à la hauteur de la situation et donc ayant un degré suffisant d’exigence, il faut un exutoire. C’est la dette. On s’endette, de façon désormais criminelle, parce qu’on traite l’absence de consensus en empruntant sur le dos des générations futures. Et c’est particulièrement dangereux dans le cas de la zone euro, parce que les pays qui la composent n’empruntent pas dans leur monnaie — contrairement à l’idée reçue. C’est un bon exemple d’une déficience d’ordre politique et au-delà symbolique, qui se traduit concrètement, sur le terrain financier, entièrement et cyniquement sur le dos de l’avenir.

En définitive, dans aucun de ces domaines on ne traite au fond les questions centrales, qui sont bien plus que des questions techniques, si lourdes ou complexes soient-elles, mais relèvent de problématiques de modèles de société, de références de vie collective, centrales à une époque comme la nôtre qui est une étape de mutation majeure, et plus encore du fait de la mondialisation. De ce fait un communiquant sans idée arrêtée comme Nicolas Sarkozy doit jouer sur des symboles sur lesquels il n’a pas de maîtrise ni d’initiative, dont le sens est presque toujours donné par d’autres ou l’héritage idéologique collectif, et qui ne sont pas pertinents pour la société actuelle. Ce qui le conduit à sauter de symbole en symbole au gré de l’actualité ou de sa programmation, mais sans jouer sur les fondamentaux du système.

Le rôle des chrétiens

Tout ceci interpelle directement le chrétien. Ce qu’il a devant ses yeux est une communauté manquant de boussole et de repères essentiels. Il a, lui, des éléments à proposer. Notons parmi les points ici pertinents de la doctrine sociale, la solidarité, si du moins elle est combinée avec la subsidiarité, et l’importance des communautés naturelles, notamment la famille et la nation, si bien soulignée par Jean Paul II. Ce qui donne potentiellement aux chrétiens les moyens non pas tant de créer un parti qui leur soit propre, mais sûrement une pensée propre. Il y a là largement de quoi non seulement proposer des pistes, mais aussi peser sur les évolutions.

Mais comme on l’a vu c’est sur les données fondamentales qu’il faut en dernière analyse agir, sur les ressorts premiers et essentiels de l’agir humain collectif. Ce qui implique une reconstruction politique. Et un point essentiel ici est qu’une telle reconstruction ne peut se faire qu’à partir de la base et non par en-haut.

Au fond, au départ c’est chaque personne qui doit progressivement être transformée. Car en dernière analyse tout commence par la conversion. Puis de proche en proche ses domaines d’action.

Nous donnerons ici un premier exemple proche, à la base, celui des écoles indépendantes, dont chaque création est aussi un acte politique de conquête d’un territoire d’autonomie, échappant à l’idéologie de la rue de Grenelle.

Puis sur un plan bien plus large, historique, un deuxième exemple, celui de l’Empire romain : le fait est que l’action lente des chrétiens a mis plusieurs siècles pour aboutir à une société véritablement différente, renouvelée dans ses bases ; et cela n’a véritablement débouché qu’au Moyen Âge. Entre-temps on avait cultivé l’illusion, récurrence dans l’histoire de l’action chrétienne en politique, du démiurge ou du grand bâtisseur qui reconstruit depuis le haut : or ce fut l’échec, avec le Bas-Empire puis Byzance, échec qui contraste avec le formidable succès de la reconstruction médiévale. Ce serait naturellement bien plus rapide aujourd’hui ; mais la logique reste la même.

Faut-il pour autant négliger la vie politique ? Bien sûr que non. Nos dirigeants ne sont sûrement pas en état de faire le genre de synthèse dont on aurait besoin ; mais ils sont sensibles au poids qu’on peut avoir dans l’opinion. Raison de plus pour agir, non pas nécessairement contre, mais au moins en partie en dehors. Un homme comme l’actuel président est par exemple un synthétiseur d’effets assez immédiats, sans grand dessein global ; mais il est pragmatique ; il a appris certaines choses. D’autres sur l’échiquier politique, de bords divers, peuvent être eux aussi sensibles à certaines priorités si elles sont exprimées avec suffisamment de force ou de poids. C’est là aussi pragmatiquement qu’il faut jouer, sur les uns ou les autres, sans se commettre, ni rejeter.

Pierre de Lauzun
Économiste, directeur général-adjoint de la Fédération bancaire française, délégué général de l'Association française des entreprises d'investissement. Auteur de plusieurs ouvrages, vient de faire paraître L'Economie et le Christianisme (F.-X. de Guibert, 2010).

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