"Si la capacité des cons à s'auto-éliminer ne doit pas être négligée, la volonté effarante du monde moderne et de l'Etat-providence à les sauver rend vain tout espoir de sélection naturelle"

"Il y a deux aristocraties : celle du haut et celle du bas. Entre les deux, il y a nous, qui faisons la force de la France.

jeudi 12 avril 2012

Ce soir on avait culture…

Quand j’arrivais au Vieux Tilleul où qu’on avait séance de culture, c’était déjà commencé !

Tous les intellectuels du Parti avec leurs amis, leurs moukères, leurs bouquins et leurs clebs, avaient été mobilisés. Ils étaient sur l’estrade, en rang d’oignons, l’air tourmenté, tous les genres et toutes les couleurs : des blancs, des verts, des jaunes serin, un rouquin, un branquignol, deux tordus, trois crépus, deux chinetoques et un bougnoul, pour bien montrer qu’on était resté internationaliste, mine de rien.

Je gâffais partout dans la salle pour trouver quéqu’un de connaissance. C’était pas le trip habituel. C’était du beau linge. Des artisses, des bourgeois. Type zazou négligent.

Je découvre pourtant Nénette. C’est une p’tite copine qu’a été ouvreuse dans un ciné-club. Qu’elle a dû quitter d’ailleurs, vu que la clientèle était impossible question fesses. Les films muets, ça devait leur rappeler leur jeunesse. Ça les rendait impitoyables pour les perruches. Ils auraient fait un malheur en cas de refus. Les intellectuels on se demande ce qui leur passe dans la tirelire. De braguette en braguette, Nénette, elle aurait fini par connaître le Tout-Paris mieux qu’André de Fouquières, si elle avait eu plus de santé.

- Salut, Nénette, que je lui dis en tapinois,

- Bonjour, Cocco, qu’elle me répond.

- Vos gueules, arsouilles, qu’il grogne un malappris.

Ça fait un peu de schproum. Un orateur inscrit, qui ronflait derrière sa carafe, se lève

- Silence, camarades… Laissez parler le camarade Aragon.

C’était donc Aragon qui jaspinait, très sûr de lui, une main dans la fouille. Un peu poseur. Une voix coupante.

Il parlait de la Résistance et puis d’Elsa, sa moumoute, si j’ai bien compris. Il parlait aussi de lui-même. Sa vie. Comment qu’il était venu au Parti. Comment qu’il avait conchié l’Armée Française et puis comment qu’il l’avait plus conchiée, et puis comment qu’il l’avait conchié encore et puis comment qu’il l’avait plus conchiée de nouveau.

C’était Elsa qui avait fait de lui un vrai bolcho. Un dur. Un teigneux. Un irréductible. C’était Elsa qui lui avait rendu la vue, il avait vu les yeux d’Elsa. Alors il avait fait des poèmes. C’était très beau. Le titre de la conférence c’était Culture et Prolétariat. On ne savait pas pourquoi mais c’était très beau tout de même.

Ensuite il avait commencé à s’énerver. J’ai cru qu’il allait tirer son veston. Y a eu comme un frisson sur l’assistance. Les frangines, elles décroisaient déjà les brancards. Mais il s’est ravisé, Aragon. Un poète en bannière, ça ne se fait pas. Il en mettait pourtant un sacré coup. Il était en nage, mais comme y sait nager, ça ne faisait rien. Y parlait au nom de la Fédération des Déportés et des Prisonniers. Un sujet qu’il connaissait bien. Il avait été trois jours en taule, à la ligne de démarcation pour avoir voulu passer un sauciflard en fraude. Trois jours sans fumer. Atroce. Bien que gironde, la môme Elsa en était toute pâlotte en esgourdant ce supplice, ce calvaire.

C’est elle qui s’est levée, après que son coquin, le maître camarade, se soit écroulé sur sa chaise et sous les applaudissements. Elle a juste dit un poème de Louis. Emouvant et facile à retenir avec ça. Persiennes qu’il s’appelait ce beau poème émouvant. Ça commençait comme ça :

Persiennes. Persiennes. Persiennes.

Persiennes. Persiennes. Persiennes.

Persiennes. Persiennes.

Persiennes.

Et pour terminer :

Persiennes. Persiennes.

Persiennes.

Persiennes. (1)

- « Bis », qu’on a tous crié, chavirés d’émotion et d’enthousiasme communautaire.

Ensuite, c’est le maître qui a lu son tout dernier chef d’œuvre.

De Bordeaux à Quimper, truands sans capitaines,

Partaient ivres d’un rêve héroïque et brutal…

Ils allaient trucider le Bavarois fécal

Le collabo hideux et le croquemitaine…

Y en a eu comme ça pendant vingt-six minutes. C’était du délire. Une mistonne gloussait devant moi comme une cocotte :

- Oh ! là là !... merveilleux… quelle trouvaille… bavarois fécal. Non… quelle perpétuelle invention… quelle audace… les images… le souffle… le folklore… patati… patata… oh ! là là…

On faisait dans la joie !

Quand il a eu fini, Aragon, tout le monde s’est levé. Elsa, elle, était complètement perdue dans les vaps. Les autres poulettes en ont vachement profité.

- Cher maître, qu’elles disaient, cher maître…

Et pan, les arrogantes, sournoisement, candidement même, la paluche directe sur le Capital, qu’il était tout gêné, Louis. Vous pensez, c’était plus l’époque des partouzes chez Dada. Maintenant c’était la production et l’Académie Française. Faut pas confondre.

Ça devait être le printemps… Quand il a pu sortir de la mêlée, Araguche, il était en caleçon et en fixe-chaussettes, ce qui manquait un peu de noblesse pour un poète. Mais ça ne fait rien. On a applaudi quand même.

Seuls les orateurs inscrits faisaient une drôle de tronche. A cause du métro, ils pourraient pas balancer leur laïus. Y a rien de plus mauvais qu’un orateur-inscrit qui n’a pas pu sortir son discours. Aucun voulait céder sa place.

Y a eu des mots aigres-doux. Puis des jurons. Puis des injures. Puis des mornifles à toute allure, dans la cafetière. Une châtaigne affreuse pour film américain. C’est drôlement vicelard, question bagarre, les cerveaux. Tout de suite les endroits sensibles, les doigts, les mirettes, les esgourdes qu’ils se tiraient l’un l’autre comme si ça avait été de la guimauve, les joyeuses… mêlée terrible. Corps à corps. Combat farouche.

C’est le noir qui est sorti vainqueur. Il a giclé d’un groupe de lutteurs comme un pruneau qu’on pince et il s’est accroché au micro comme à un cocotier.

- Camarades, qu’il bégayait le bougnoul en roulant des yeux blancs, je viens vous appo’ter le salut f’ate’nel du p’oléta’iat Bamba’a que j’ai l’honneu’ de ‘ep’ésenter à Pa’is, pisqie c’est moi qui suis le polisson de la Constitution (2). Quand je ‘tou’ne’ai là-bas, je lui fe’ai honte au p’oléta’iat Bamba’a de son igno’ance. Y pense qu’à danser la ‘umba et à fai’ l’amou’, le p’oléta’iat Bamba’a. J’i’ai le lui di’e. pa’ ma ba’be, je lui di’ai comment le p’oléta’iat f’ançais y s’inst’uit toujou’s pou’ pouvoi’ ‘emplacer les élites capitalistes quand sonne’a le glas de la bou’geoisie inte’nationale…

On entendit pas plus…

Des frénétiques avaient accroché François Mauriac à un lustre qui s’écroula.

Le tumulte devint effroyable.

On entendait par-dessus le vacarme la voix de Pierre Hervé qui disait que c’était un coup monté par les curés.


Nénette et moi on s’esbigna en douce.

Dehors, on retrouva la nuit, le printemps, les odeurs de la ville. Nénette se faisait lourde à mon bras.

- Tout ça, qu’elle murmura bientôt comme pour elle-même, c’est bien joli. Mais ça n’empêche pas qu’on n’a pas eu de viande fraîche depuis huit jours…


Nénette, dans le fond, c’est pas une pure.

Entre nous, elle est un peu matérialiste.


(1) Poème authentique publié dans les œuvres complètes de Louis Aragon

(2) Le texte de la Constitution de 1946 a effectivement été "polie" par un noir…

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Aux très riches heures qui ont suivi la "Libération"… et l’épuration, sorti depuis peu de prison, frappé d’indignité nationale, dans la dèche et bossant à l’usine, Emmanuel Allot s’était vu confier une chronique régulière en langue parlée dans Paroles Française, nouvel et éphémère hebdo cornaqué par Pierre Boutang. Sous le pseudonyme de Julien Guernec, c’était la première fois qu’il écrivait pour un vrai journal… Et la chronique ci-dessus a été sa toute première…


Il est toujours resté fidèle à ses convictions, à ses "fondamentaux", à ses amis, à ses morts. Il a rejoint Brasillach le dimanche de Pâques pour continuer la route autrement. Ça faisait bien longtemps qu’il se faisait appeler François Brigneau

3 commentaires:

  1. J'ai du retard de lecture... mais merci (si on peut dire) de m'apprendre la mort de Brigneau. Ca fait quelque chose, quand même... C'était un énorme bonhomme ! Déjà qu'on avait perdu Beketch, les plumes de talent s'envolent. On est maudits...

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  2. Merci Dad pour ces quelques lignes de F.B. La seule chose que semble retenir la presse du jour est qu'il cofonda le FN. Le petit bout de la lorgnette quoi ...

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    1. et milicien !
      (engagé dans la milice en... juin 44 ! Fallait le faire ! Sûr qu'il était dingue...)
      Une bise à tous les tiens, Fils..

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