"Si la capacité des cons à s'auto-éliminer ne doit pas être négligée, la volonté effarante du monde moderne et de l'Etat-providence à les sauver rend vain tout espoir de sélection naturelle"

"Il y a deux aristocraties : celle du haut et celle du bas. Entre les deux, il y a nous, qui faisons la force de la France.

lundi 24 septembre 2012

Littérature et marchandises de lecture…



L’actualité est si déprimante et si lassante que je ne sais trop qu’en dire ces jours-ci. Que faire donc qui puisse malgré tout faire se lever une paupière alourdie chez mon vaste lectorat ? Au moins, soyons franc, pour éviter un tassement trop prononcé du nombre de "visiteurs uniques" que d’autres scrutaient semble-t-il attentivement du haut de leurs collines… Piochons donc du côté des fonds de tiroirs et vieux papiers… Le texte ci-dessous m’a été rappelé par la lecture, à droite et à gauche (surtout à droite…) des commentaires suscités par l’affaire Richard Millet, ou plutôt par la litanie des pédigrées des signataires de la liste de Ernaux :     
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Je crains bien d’avoir dit des bêtises et mélangé bien des notions en écrivant trop rapidement bien des choses dans ma chronique de dimanche dernier. Tant pis pour elles. Qu’elles se débrouillent. Elles sont entrées chez mes lecteurs par une oreille, elles n’auront qu’à sortir par l’autre. Elles partageront par là le sort des vérités.
C’est parce qu’on a trop de choses à lire.
Dans tout ça, peu de littérature. Car la littérature, au meilleur sens du mot, commence et finit avec le style. Et il y a peu de véritables écrivains. En revanche, il y a beaucoup de livres, comme il y a beaucoup de détergents, parce qu’il faut que les imprimeries tournent et que les marchands de savon vendent beaucoup de savonnettes. A son origine, l’imprimerie était conçue pour diffuser les livres, maintenant les livres sont écrits pour faire travailler l’imprimerie. Et comme elle va extrêmement vite, elle a besoin de beaucoup de manuscrits. Ils répondent à des besoins nouveaux qui n’ont rien à voir avec l’art. Ce qui ne veut pas dire qu’ils soient sans intérêt. La politique, l’histoire, l’information, la biologie, la sociologie, la science-fiction, que sais-je ! la futurologie, peuvent même être, aussi, littéraires ; en plus, mais pratiquement elles nous donnent l’impression de produire des ouvrages réalisés en chaîne, avec le meilleur et le pire, le presque rien, le presque pire et l’entrelardé. Ils répandent la faute d’orthographe, la plus douteuse grammaire, un jargon incroyable, l’ignorance totale du français et le sensationnel à bas prix. Souvent aussi des vues intéressantes, des sujets passionnants, des reportages vrais, des découvertes étonnantes. L’océanographie, les Chinois, le Japon, l’Egypte et Israël, l’espionnage et l’astronautique, sans compter cent mille autres choses, nous y apportent un monde nouveau qui vient d’éclore, quand on atteint mon âge, sous le regard d’enfants inguérissables pour qui la bicyclette fut une révélation.
Malheureusement, la plupart de ces livres sont trop épais et apparaissent comme le brouillon de ceux qu’ils auraient mérité de devenir. ("Qui ne sut se borner ne sut jamais écrire") Ou alors ils donnent comme des sciences des échafaudages d’hypothèses bâties sur des notions nouvelles qui prouvent l’ignorance des anciennes. C’est ce qu’on appelle la vulgarisation. Il suffit d’un voyage lointain raconté par un illettré pour en rendre l’auteur directeur d’une collection dite littéraire. Il suffit d’un toupet savamment orchestré par une équipe à sa merci, pour qu’une dame sans nulle compétence devienne directrice de conscience de foules qui n’en savent pas plus long. Tandis que les grands écrivains meurent : Audiberti, Paulhan, Giono, Marcel Aymé, Maurois… Une hécatombe.
(…)

Mais qui sait encore lire ? Je propose, à tout hasard, pour réformer l’enseignement, et puisqu’on veut prolonger l’enseignement primaire jusqu’à l’âge où, naguère, on était bachelier, d’introduire l’étude du latin dans les programmes des classes primaires ; de compliquer la règle du jeu au lieu de vouloir la simplifier. En deux ans les enfants ne sauraient pas le latin, mais ils auraient appris le français, et on ne verrait plus d’ingénieurs, d’entrepreneurs de publicité, des faux savants et de nouveaux riches de la culture user du charabia de prestige qui déconcerte les naïfs et éblouit les ahuris. Ils écriraient une langue à la portée de tout le monde. Encore faudrait-il que leurs maîtres ne fussent plus les premières victimes des charlatans de la pédagogie. Civiliser consiste à compliquer, et on ne parvient à la simplicité qu’au-delà de la complication.   

               (…)

Alexandre Vialatte – Chroniques de maintes banalités. (début des années soixante du précédent siècle…)

NDLR pour les initiés : Cet extrait de chronique (resté dans le clavier) avait été repéré fin juillet dernier pour sa première partie, avec une pensée attendrie pour certain écrivain en bâtiment très à cheval sur son classement (ici)…

2 commentaires:

  1. À cheval, moi ? J'aurais bien trop peur de me casser la gueule ! Même sur un classement.

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    1. Il est vrai qu'on est haut perché et qu'une bonne tenue à cheval est moins une question de bouteille que d'assiette...

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