"Si la capacité des cons à s'auto-éliminer ne doit pas être négligée, la volonté effarante du monde moderne et de l'Etat-providence à les sauver rend vain tout espoir de sélection naturelle"

"Il y a deux aristocraties : celle du haut et celle du bas. Entre les deux, il y a nous, qui faisons la force de la France.

dimanche 19 juillet 2015

Le couloir de la mort…



Non, je ne pense pas à un pénitencier de l’Arizona. C’est juste qu’hier je lisais sur le net un titre récurrent chaque année : "Journée noire au Mont blanc"… Il y avait eu deux morts… Deux ! Ce n’est jamais que 4 à 5% du score total d’un été ordinaire… Lassitude, donc. Mais le must, c’est que le maire de St Gervais a dû pondre un arrêté interdisant l’accès par la voie normale où avait eu lieu l’accident… Je situe bien. C’était dans la montée au Goûter, au-dessus de Tête Rousse. Début de course, donc encore de marche d’approche mais appelé non sans raison le "couloir de la mort".

Du coup, ça m’a fait repenser à divers billets anciens sur le sujet. Et comme font les quotidiens et magazines qui nous fourguent leur feuilleton de l’été ou bande dessinée pour meubler, je me suis dit que je pourrais compenser la baisse de tonus estivale en republiant d’anciens billets (vieux d’au moins trois ans quand-même) Ce sera le cas aujourd’hui :
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Relation en deux actes avec leurs morales
des tristes aventures des Ivan et Léonid
fourvoyés dans les Alpes mais non sans leur portable.

Qu’est ceci, je vous prie ? - C’est le titre…

Ayant évoqué l’autre jour (ici) la stabilité du niveau moyen habituel des pertes humaines dans le Massif du Mont Blanc en dépit de la hausse exponentielle de la fréquentation (et donc de l’amateurisme…) il m’est revenu en mémoire diverses anecdotes véridiques que me conta il y a quelques années le commandant en second du Peloton de Gendarmerie de Haute Montagne de Chamonix.

C’était déjà l’époque où, grâce au redressement productif (non folklorique, celui-là) opéré sous le premier mandat Poutine, les Russes fleurissaient à Chamonix comme colchiques à la fin de l’été. Au point de faire parfois oublier les bandes de rosbifs avinés qui, dans ce cul de vallée, pourrissent nos anciens bistrots reconvertis, survie oblige, en faux pubs, vraies variantes tropéziennes du kitch  tyrolien.

Or donc, les premiers Ivan et Léonid dont je veux vous parler (je n’ose plus les appeler Vladimir et je m’en excuse) avaient entrepris une ascension quelconque sans accompagnateurs autochtones. Ayant accumulé les retards et les contrariétés tout au long de la course, nos deux guignols rencontrèrent le brouillard sur le retour et se mirent à tourner en rond entre deux crevasses dans un fouillis glaciaire. Sentant la nuit prochaine, ils finirent par se préoccuper d’appeler les secours… Ouais, et comment fait-on au juste ? Ils n’en avaient pas la moindre idée… Et les heures passaient…

Ils avaient bien un téléphone portable à la batterie un peu faiblarde, mais quel numéro composer ? Faute de mieux, ils appelèrent un premier numéro dont je reparlerai… Puis, en fouillant dans sa poche, l’un d’eux en retira par hasard un petit bout de papier froissé en boule : la facturette de l’épicerie où ils avaient acheté la veille quelques provisions de bouche ; papier où était imprimé… le numéro de la boutique !

Le téléphone sonna enfin au PGHM. Au bout du fil, c’était… la gérante d’une supérette du fond de la vallée qui s’apprêtait à fermer : "- Il y a des Russes ou quelque chose de ce genre en difficulté là-haut !" ; "- Où ça ?" ; "- Ils ne savent pas le dire." ; "- Vous avez leur numéro ?" ; "- Non, ils ont raccroché et ça ne s’affiche pas sur le téléphone de la boutique…" ; "- Il y a des blessés ?" ; "- J’ai rien compris"… Bref, autant chercher une aiguille dans une botte de foin sur 200 km ² de crêtes et de ravins…
Il faut dire qu’ignorant tout de la langue de Victor-Hugo et dotés d’un effroyable accent moujik, nos deux Russkofs ne maîtrisaient guère qu’une trentaine de mots en anglais, abstraction faite du vocabulaire international approprié pour la beuverie et le péché de la chair…

La pauvre épicière fut fermement invitée par les gendarmes à faire des heures sup’ plantée devant son téléphone pendant que le standard des pandores faisait le tour des hôtels fréquentés par les slaves pour s’enquérir des clients non rentrés de courses, de leur téléphones, des soupçons de fausse alerte… Et les heures passaient…

Le téléphone sonna de nouveau au PGHM. Au bout du fil, c’était… le quai d’Orsay ! Les deux gonzes avaient appelé… chez eux… quelque part entre Odessa et Vladivostok. Et de fil en bureau d’apparatchik, via leur ambassade à Paris et un gazier de permanence au ministère des affaires étrangères, l’appel au secours arriva enfin au PGHM avec des informations exploitables et, notamment, le n° de portable des deux paumés… Avec un interprète promptement réquisitionné, on appela. Las ! Si les deux zigotos purent dire enfin d’où ils revenaient, ils étaient incapables de préciser ne serait-ce qu’approximativement, à quelle hauteur et plutôt de quel côté du glacier ils se trouvaient… Si ! Ils avaient remarqué un triangle de peinture verte sur un gros rocher. Ouais… Le genre de repères placés par des glaciologues sur le glacier pour calculer sa vitesse, donc repère qui se déplace… Allez donc trouver au laboratoire de glaciologie quelqu’un pouvant vous renseigner le soir à 23h… Je passe d’autres détails…
Bref, pour résumer, le secteur de recherche étant quand même suffisamment délimité, l’hélico est parti survoler la zone à balayer au projecteur. Pendant ce temps-là, voyant la batterie du téléphone se vider inexorablement, les deux paumés voulaient couper pour garder de quoi pouvoir, le cas échéant, dicter leurs dernières volontés. Au centre opérationnel, l’interprète avait un mal fou à les retenir en ligne : Il fallait que dans cette nuit sans lune, ils puissent dire en temps réel quand ils entendraient l’hélicoptère s’approcher d’eux, ou s’éloigner...

Les deux guignols sont rentrés tout penauds mais bien vivants. On ne les y reprendra plus, sans guide et, surtout, sans numéros adéquats en mémoire. Notez qu’on n’exploite jamais assez le potentiel que représente une facturette de supérette…
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Les Ivan et Léonid suivants étaient d’une autre espèce. Nous les appellerons Youri et Dimitri pour ne pas insulter les premiers. Youri et Dimitri étaient donc partis faire le Mont Blanc en personne (et sans personne) L’exercice s’étant révélé pour eux plus essoufflant que prévu, nos deux hommes n’arrivèrent que fort tardivement au sommet. Ils appelèrent alors l’office du tourisme :

"- Nous sommes au sommet du Mt Blanc et très en retard. Veuillez nous envoyer un hélicoptère."
"- Vous êtes en difficulté ?"
"- Oui. Nous avons un avion à prendre ce soir à Genève et nous allons le rater."
"- Sorry, Mr. Les vols taxis sont interdits sur le massif. Nous ne sommes pas en Italie, ici. Seul le secours en montagne peut survoler sans autorisation."
Il insiste grave [je résume un max]
En désespoir de cause, la fille passe l’appel à la gendarmerie en lui expliquant le truc. Le PGHM :
"- Non, Monsieur, nous ne faisons pas le taxi. Nous n’intervenons que s’il y a des blessés."
"- Et si je vous dis qu’il y a un blessé ?"
"- Alors nous sommes tenus de venir…"
"- Et bien nous avons un blessé."
"- Quel est la nature de la blessure ?"
"- Fracture. La jambe, j’sais pas moi, le fémur, le tibia…"
"- Nous décollons tout de suite. "

Un des deux mecs –en meilleure santé que vous et moi – joue la douleur et se fait hélitreuiller. Ils sont dans les temps pour l’avion de Genève…

On a beau être oligarque en son pays, on ne peut pas tout prévoir : A peine atterri, attelé et ficelé sur la civière, le gus est embarqué manu militari dans l’ambulance, direction l’hosto toutes sirènes hurlantes. Là, plâtré du bassin aux orteils, il est mis "en observation"… Principe de précaution qu’on dit maintenant…

L’avion avait décollé de Genève-Cointrin depuis belle lurette quand les médecins ont signé son bon de sortie après application des prescriptions de l’ordonnance : quittance donnée du paiement cash des coûts d’interventions, heure de vol, frais d’hospitalisation et des amendes pour outrage à agents, fausse déclaration, abus de confiance, etc. (le procureur mis dans le coup avait eu le temps de soigner sa propre ordonnance pendant qu’on calmait le type plâtré jusqu’au moteur dans son lit médicalisé…)

Dans le couloir de la mort...

2 commentaires:

  1. merci plouc, histoire rigolote et merveilleusement écrite.
    Anne

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  2. J'imagine que le service des urgences, tout comme le proc' ont du appliquer la morale de Jean de la Fontaine.
    "si ce n'est toi, c'est donc ton frère"
    "je ne dis pas que ce n'est pas injuste, je dis que ça soulage"

    Popeye

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