Dans son billet de mardi, le naïf Pangloss s’interrogeait sur les satisfactions que les passagers des croisières Costa pouvaient bien trouver à s’embarquer sur de telles galères…
Il n’a pas lu Antonio de Guevara ! Celui-ci (1480-1545), évêque de Mondoñedo, prédicateur, chroniqueur et conseiller de Charles Quint, avait une sainte horreur des traversées maritimes. Fort de l’expérience de ses allers et venues entre l’Espagne et les Pays-Bas, il ne manqua pas de coucher par écrit d’excellents conseils pour ceux qui naviguent sur des galères.
Je vous en livre quelques extraits :
Sur le débarquement des croisiéristes aux escales :
La galère offre aux passagers qui débarquent dans un bel endroit prospère, le privilège de ravager les forêts, de fracturer les ruches, d’abattre les arbres, de détruire les pigeonniers, de chasser le gibier, de saccager les jardins, de lutiner les jeunes filles, de débaucher les femmes, de voler les enfants, d’enlever les esclaves, de vendanger les vignes, de dérober le lard et de saisir les vêtements ; ainsi, ce que le gel, la grêle et les sauterelles peinent à causer de dégâts en une année rigoureuse, les hommes des galères y parviennent aisément en une demi-journée.
Sur les avantages offerts aux croisiéristes par la vie à bord :
La galère offre aux passagers, à Pâques, à la Trinité et même le dimanche, le privilège de continuer à jouer, à voler, à cocufier, à blasphémer, à travailler et à naviguer ; car non seulement on ne célèbre aucune fête sur les galères, mais on ne sait même pas quand elles tombent.
La galère offre à ceux qui y séjournent le privilège d’ignorer le mercredi des Cendres, la Semaine Sainte, les vigiles de Pâques, les Quatre-Temps et le Carême…
La galère offre à tous ceux qui y séjournent le privilège de manger de la viande pendant le Carême, les Quatre-Temps, le vendredi, les vigiles, le samedi et tous les autres jours prohibés – et ce avec d’autant moins de retenue qu’ils n’en ont même pas conscience. Pour ma part, quand il m’est arrivé de protester contre cela, on m’a répondu que si, à terre, tout le monde se permettait de manger du poisson n’importe quand, il n’y avait aucune raison de ne pas faire de même en mer avec la viande.
La galère offre le privilège d’être dispensé d’assister aux cérémonies et d’entrer - fût-ce une fois l’an - dans une église ; ce qui n’empêche pas le bon chrétien qui est en chacun d’eux de prier, de soupirer et de gémir quand ils sont pris dans la tourmente. Mais une fois sortis d’affaire, ils se remettent très tranquillement à manger, à bavarder, à jouer, à pécher et à blasphémer tout en se racontant les uns aux autres les frayeurs qu’ils ont eues et les vœux qu’ils ont faits.
Sur l’avantage pour un armateur de transporter des croisiéristes :
La galère offre aux patrons, pilotes, marins, matelots, timoniers, espaliers, rameurs et vogue-avant, le privilège de solliciter, ponctionner, corrompre et même voler les pauvres passagers (…). Quant au passager quelque peu novice qui n’aura pas attaché sa bourse à son bras, il pourra toujours se dire qu’il l’aura oubliée à Séville.
Enfin, sur les avantages offerts aux croisiéristes par les naufrages en haute mer :
La galère offre à ceux qui y meurent le privilège de se passer d’extrême-onction et de n’avoir à payer ni sacristain pour sonner le glas, ni croque-morts pour lever le corps, ni curé pour procéder à l’enterrement, ni maçons pour bâtir la sépulture, ni moines pour dire la messe, ni pauvres pour porter les cierges, ni hommes de peine pour ouvrir la fosse, ni confrère pour avertir la confrérie, ni commère pour coudre le linceul…
Antonio de Guevara - L’art de Naviguer, publié à Valladolid le 25 juin 1539.
Traduction en français publiée par les éditions Vagabonde à Marseille.
"Si la capacité des cons à s'auto-éliminer ne doit pas être négligée, la volonté effarante du monde moderne et de l'Etat-providence à les sauver rend vain tout espoir de sélection naturelle"
"Il y a deux aristocraties : celle du haut et celle du bas. Entre les deux, il y a nous, qui faisons la force de la France.
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Je n'ai pas lu cet art de naviguer. Ces quelques extraits pourraient avantageusement figurer sur un prospectus de Costa: les amateurs se bousculeraient.
RépondreSupprimerA la réflexion, peut-être un peu moins depuis quelques jours.
Excellent!
RépondreSupprimerPlein d'humour, ce Guevara, pour peu qu'il s'agisse
d'un ancètre d'Ernesto, dit le Che, il a dû se
retourner dans sa tombe, le pauvre.
En tout cas, la navigation ne semble guère avoir évolué depuis le XVIeme.c'est réconfortant.
Et en plus cette vie de Galère est gratuite,
RépondreSupprimercar "Dieu la donne à qui veut"
Je vois, Naïf, que vous avez de saines lectures. J'avais pensé la mettre en finale mais ne voyant pas comment l'introduire j'avais laissé tomber...
SupprimerCher plouc,
RépondreSupprimerSi je vous lis, j'ai obligatoirement de saines lectures.