Ce billet (dé)cousu à la con est dédicacé en deuxième de couverture : ‘’avec une pensée spéciale pour l’amiral Woland qui tarde à rentrer de son quartier libre.’’
Je m’en serais voulu de ne pas vous faire profiter de cette page de publicité. Destinée au marché américain, elle a été retirée sitôt diffusée. Comme vous vous en doutez, elle était de nature à nauséabondement scandaliser les populations aux âmes sensibles (brandir la tête de Louis XVI, ça peut aller ; mais là ! C’est pire qu’un lancé de nain pour hydrater la peau !)
Scandaliser les dites populations, c’est à dire tout le monde hormis vous et moi (semble-t-il…) Et ce n’est pas vous et moi qui comptons sur ce marché. Nous n’avons pas la gueule de l’emploi pour incarner la cible marketing visée par cette campagne de pub. On s’en fout d’autant plus que nous nous honorons par ailleurs d’être suffisamment la cible de bien d’autres choses…
Bon, revenons-en à cette pub. Le premier connard de blogueur amerloque et leucoderme venu l’ayant immédiatement qualifiée de raciste, la chose fit un buzz suffisant pour qu’elle soit retirée sur-le-champ avec excuses et tout et tout par le donneur d’ordre habitué à passer la pommade…
Et pourtant ! Le choix de la photo et le choc des mots sont riches d’enseignements sur le fouillis et la bouillie contradictoire qui meublent le cerveau des communicants concepteurs de la bête… Connexions neuronales beaucoup plus complexes que chez leurs confrères grassement payés pour la récente campagne Hadopi…
Tout d’abord, placez-vous dans le contexte : Cette page de pub était destinée à paraître dans la revue Esquire, un must du magazine pour hommes friqués qui se la jouent élite (culturelle, financière, avant-garde de la mode masculine et tout et tout…)
Le mannequin apte à susciter le désir mimétique ? Vous l’avez sous les yeux…
Désormais, on est dans l’Obama way of life. Fini le black power ( ?), Exit les black panthers… Donc, l’afro-rasta, c’est has been, ringard, dépassé et on s’en débarrasse ; dans les poubelles de l’Histoire, loin, loin. Notez la notion d’infini (indéfini ?) suggérée par la perspective en fuite du mobilier urbain sur un parking. Là, on est dans du contemporain qui parle (et ne dit rien) Il fut un temps où le lointain aurait été suggéré par un horizon marin ou la ligne bleue des Vosges. Mais l’horizon marin aurait pu inspirer au consommateur la notion d’inconnu, donc source d’inquiétude, ou alors d’aventure, quête de l’Eldorado, etc., donc source de perturbation pour la cohésion sociale. Pire encore ! La ligne bleue des Vosges pourrait faire craindre l’heure de Vérité… Alors que le parking débouchant sur rien ! Image parfaite de la tranquillité rassurante du marquage au sol sans aucun recours à des concepts clivants… Bien vu, les mecs ! On sent qu’ils ont bossé sur le dossier !
Mais sous le communicant formaté, sous l’homo boboïdus ripoliné, ressort toujours inconsciemment un peu de la bête territoriale, agressive et mal embouchée, donc des dérapages involontaires. Enfin, quand je dis dérapages, c’est aux yeux de moderneud qui se fourvoie comme d’habitude. En effet, cette pub n’est absolument pas raciste :
La violence barbare de l’image n’a rien de raciste. Elle met en scène un homme tout à fait comme il faut, élégant, propre sur lui, du genre que beaucoup voudraient pour gendre ; civilisé quoi ! Et que fait-il ? Jette-t-il les restes de dégâts collatéraux d’un affrontement inter-ethnique ? Non. Intra-ethnique, peut-être, donc rien de raciste. Le gus et sa boule de bowling improvisée pourraient être de teinte blanche, jaune ou verte, ce serait pareil.
- Oui, M’sieur, mais les affreux communicants de Nivea laissent implicitement entendre que seuls les blacks se livreraient à des horreurs pareilles…
- Où ça ? Rien ne le laisse entendre dans cette pub. C’est à vous que ça vient à l’esprit. Modernoeud, mon pauvre ami, vous ne le saviez pas et je vous l’apprends : Vous êtes raciste !
Et puis, de toutes façons, l’image n’est que le symbole d’un désir inné commun à toute l’espèce humaine ! C’est Freud qui l’a dit (génuflexion SVP…) : Le besoin de tuer le père…
Et puis, surtout, surtout, il y a la légende ! L’injonction ! Ordre indicatif, impératif : Re-civilisez-vous ! L’horreur raciste eut-été d’écrire : Civilisez-vous ! Signe d’un mépris racialiste absolu. Non.
Re-civilisez-vous signifie bien que le sujet mélanodermé était civilisé, et qu’il l’est toujours, quoique accidentellement et momentanément détourné de sa vrai nature par quelque Malcom X légitimement perturbé par les humiliations subies. Se re-civiliser, c’est à n’en pas douter, grâce à une lecture attentive d’Esquire couplée à une consommation raisonnable de crème Nivea, retrouver ses propres fondamentaux et l’âge d’or des très riches heures de la civilisation du Monomotapa trop longtemps négligée…
D’ailleurs, l’élégance du geste de lancer de tête n’est-il pas l’illustration de l’éternel retour aux pratiques naturelles tant espérées par les écologistes ? Renoncement aux méthodes chimiques pour la fumure des terres et l’élevage des asticots ? Surtout, surtout, illustration du retour à de saines pratiques dédaignant tous ces progrès inutiles de la science et des techniques en général et l’invention de la catapulte en particulier…
Nivea est dans son rôle : Leader mondial de l’effacement des rides, il œuvre pour notre sérénité en cosmétiquant le réel…