Comme toutes les langues
vivantes, la langue de bois (qui est pourtant une langue morte mais ne le
saura jamais) évolue
avec le temps. Elle évolue avec une rapidité bien supérieure à celles des
langues vivantes, ces dernières ne pouvant aller plus vite que la musique afin
que leurs auditeurs puissent continuer à comprendre (à peu près) ce dont on leur cause. Alors
que le souci d’être vraiment compris
n’est pas la vocation première de la langue de bois, ce pourrait même parfois
devenir dangereux… Elle peut donc évoluer très vite. Et l’évènementiel permanent qui est désormais le lot du "village
global" contraint l’acuraba à
revoir constamment son lexique. Mais ce n’est pas tout. De nos jours, non
seulement le sens des mots et des xylo-formules change, mais l’art du discours,
la finalité de la rhétorique elle-même prend des virages surprenants. Virages
nouveaux où semblent se complaire les nouveaux xylo-locuteurs de l’espèce macronienne désormais aux manettes (ou du
moins qui s’y croient…) :
Pour eux, en effet, le discours vise moins à
convaincre du bien fondé d’une action, mais de plus en plus souvent à se
défausser, à reporter la responsabilité sur d’autres, ou, tout bêtement sur la
nature des institutions…
Deux exemples viennent de
nous en être donnés :
- Lundi, le secrétaire
d'Etat auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire (Sébastien Lecornu, des fois
que vous l’ignoreriez) s’est rendu sur le site de Bure,
futur centre d’enfouissement de déchets nucléaires. Visite pas vraiment
attendue sur zone ni prévue de longue date. Bure, comme chacun sait, est la
futur ZAD number one où vont bien
finir par se replier tous les éléments
radicaux de NDDL. Comme c’est curieux…
Mais ce n’est pas le sujet.
Cette visite fut l’occasion pour le sous-fifre de Hulot de dire aux élus locaux
sous abri des gendarmes cette évidence qui n’aura échappé à personne :
"Chaque citoyen qui a un jour allumé une
ampoule a une responsabilité sur cette affaire de déchets nucléaires"
Reconnaissons qu’il n’a pas tort si l’on remonte aux
origines de la chose. Mais, au-delà de l’envolée lyrique, ça débouche sur quoi ?
Sur rien dans la mesure où le propos n’ouvre sur aucune perspective, sur aucune
piste ouvrant sur une espérance. En revanche, c’est une belle illustration de
la méthode de communication instituée par le Cyborg-président. Et Lecornu a
bien révisé son manuel :
Avec une phrase qu’on n’attendait pas, il s’élève au-dessus
des contingences concrètes et place le débat à un niveau de pensée complexe quasi philosophique tout
en renvoyant les sans-dents à leurs nez qu’ils ont besoin de moucher. Et en
faisant cela, il obtient ce résultat extraordinaire : Faire dire :
"- En voilà enfin un qui parle vrai sans langue de bois" ! CQFD…
- Ce week-end, à Damanzan, charmante bourgade de 1.300
habitants de l’arrondissement de Nérac dans le Lot-et-Garonne, les trois
députés LREM (ils ont
évidemment fait carton plein là-bas) avaient
organisé à la salle des fêtes une petite sauterie départementale pour présenter
les vœux du parti devant un parterre euh… modestement garni.
Las ! Voilà que débarquèrent dans une pétarade de
grosses motos des quidams qui n’étaient pas invités. Et, si les motards étaient
à l’origine de la manif, ils n’étaient pas seuls mais suivis de voitures, de taxis et même d’ambulances,
au point de doubler la population du village, vieillards, nourrissons et
migrants compris…
Contraints de renoncer aux discours et
petits fours, nos trois députés LREM ont alors dû se colleter avec les revendications
véhémentes d’une foule exaspérée par l’abaissement de la vitesse à 80 km/h.
C’est au cours de ce dialogue
de sourds que M. Damaisin, le député
de Villeneuve-sur-Lot, a prononcé haut et fort les propos suivants :
« 80 km/h, je ne suis pas pour car dans ma circonscription, il n’y a pas
d’autoroute, il n’y a pas de voie rapide quasiment. Oui, il faut écouter tout
le monde. Mais cela ne se décidera pas au Parlement. C’est réglementaire. On
peut le regretter mais c’est comme ça ! »
On ne sait pas trop par
quel bout prendre ça tant on est dans la rhétorique du "en même temps"
Essayons :
Tout d’abord, il "comprend"
et "partage entièrement" le point de vue des opposants. Il ne peut
faire autrement car son électorat est jusqu’aux cheveux dans la France périphérique. Mais en même temps, il leur torche en deux
phrases la différence entre la loi et les décrets, arrêtés, etc. Il a été élu
pour voter les lois que le gouvernement veut bien lui soumettre, et pour le
reste c’est le gouvernement qui fait ce qu’il veut. Bref, circulez, y a rien à
voir !
Et là, on prend
conscience que si la langue de bois change dans sa forme, elle n’a pas changé
sur le fond.