Derrière la confusion des sexes, la confusion des siècles…
Revenant sur les réactions indignées d’associations féministes devant les propos que les soutiens canal habituel de DSK ont tenus par reflex pavlovien, Roland Hureaux publie aujourd’hui sur Liberté Politique un billet dont je m’empresse de vous donner ci-après une contraction de texte :
S’agissant de l’appel lancé par ces associations, nous ferons deux réserves :
- Quand elles dénoncent une fulgurante remontée à la surface de réflexes sexistes et réactionnaires, si prompts à surgir chez une partie des élites françaises, il est dommage qu’elles ne précisent pas de quelle partie il s’agit ; c’est d’abord, paradoxalement, celle où naviguent la plupart des militantes féministes : la gauche bobo, libérale-libertaire, précisément la moins réactionnaire selon les canons convenus. Ceux qui se sont ainsi lâchés sont presque tous issus de cette partie des élites qui a toujours soutenu les revendications féministes.
La plupart de ces féministes considéreraient avec horreur de fréquenter des réactionnaires. Pourtant, si elles le faisaient, peut-être seraient-elles moins pessimistes sur l’homme car, plus qu’une gauche devenue presque entièrement hédoniste, il est des conservateurs qui savent ce qu’est le respect.
Pourquoi cette apparente contradiction entre les idées et les actes chez tant de progressistes ? La plaignante de New York est femme, noire, musulmane, immigrée, prolétaire, chef de famille monoparentale (c’est plus politiquement correct que veuve) Elle a tout pour susciter l’empathie de la gauche. Mais non, c’est pour son agresseur supposé que cette gauche prend parti ! Car il est de leur monde, elle pas. Car Dominique Strauss-Kahn est la figure emblématique du milieu, l’expression la plus accomplie de sa vision de la société. Quelques favorables que ces gens prétendent être à tout ce qu’incarne cette femme, il est un principe qui passe avant : Touche pas à mon pote !
Des stéréotypes bien d’aujourd’hui
- L’autre réserve porte sur l’expression des stéréotypes qu’on croyait d’un autre siècle. Non, mesdames, ces stéréotypes sont bien de notre siècle !
Parmi les fantasmes où s’égare le féminisme idéologique (à distinguer du féminisme authentique), se trouve la dénonciation d’un Moyen Age mythique où le pouvoir de l’homme était supposé s’exercer sans frein, époque révolue dont les mœurs, croit-on, refont surface au moindre manque de vigilance.
Non, la multiplication des agressions contre les femmes, l’arrogance sexiste croissante, la transgression des règles de respect sont enfants du siècle : du XXe et du XXIe. Ils sont l’héritage de mai 68.
En invoquant le Moyen Age, les mouvements féministes pensent en fait à l’héritage chrétien, à saint Paul : l’homme est le chef de la femme (1C 11,3), en oubliant : il n’y a plus ni homme ni femme ( Ga 3, 28) les hommes doivent aimer leur femme comme leur propre corps (Ep 5, 28) et celui qui veut être le premier se fera le serviteur de tous (Mt 20, 27) : des maximes à l’opposé du comportement dominateur des mâles de l’âge libertaire.
Ces mouvements oublient qu’au Moyen Age, comme ils disent, toute violence faite à une femme (comme à un homme ou un enfant) était tenue pour un péché mortel et passible du feu de l’enfer. Jusqu’au concile Vatican II, c’est ce qu’enseignait tout curé de campagne. Quoi qu’en pensent des mouvements féministes, prisonniers des stéréotypes, le droit de battre sa femme, n’a jamais fait partie de l’héritage chrétien, ni juif, ni grec.
La morale laïque de Jules Ferry, enseignait, elle aussi, le respect, pas spécialement des femmes mais de tout le monde. A la fin des années soixante, en même temps que le catéchisme perdait sa vigueur et son public, la morale était rayée des programmes de l’enseignement laïque.
Certes, cet enseignement ne suffisait pas à empêcher les violences, pas davantage que les interdits sexuels n’ont jamais dissuadé les relations sexuelles hors norme sociale. En temps de guerre, les viols étaient courants (ils le sont encore au XXIe siècle), mais les interdits, infatigablement ressassés, constituaient un frein, frein qui a disparu.
L’ordre moral que condamnent les associations féministes, c’était d’abord ne pas forcer la volonté d’autrui.
Les comportements que les féministes dénoncent ne sont pas des survivances du vieil ordre judéo-chrétien mais, au contraire, le produit de sa décomposition.
En proclamant l’abolition des interdits, mai 68, a diffusé l’esprit prédateur. N’être ni coincé, ni refoulé, savoir se lâcher n’est-il pas le nouvel impératif moral ? Il est interdit d’interdire. Comment certains héritiers de mai 68 ne considéreraient-ils pas qu’une femme qui interdit son corps offense le sacro-saint principe libertaire ? Habitués à ce qu’on ne leur résiste pas, ceux qui sont riches et puissants finissent par tenir le refus d’une femme pour illégitime, par penser qu’en la forçant un peu, juste un peu, on en aura raison. Raison des Lumières qui n’admet aucun obscurantisme, y compris moral tel qu’il s’exprime par exemple dans les scrupules d’une femme plus ou moins illettrée !
C’est pourquoi le féminisme idéologique se fourvoie quand il se lie à la cause libertaire dont le principe est : jouissons sans entrave !
La morale ancestrale qu’il combat, ce n’était pas d’abord le pouvoir machiste, c’était la prise en compte du désir d’autrui.
Quelle que soit sa fin, l’affaire Strauss-Kahn n’aura pas été vaine si elle amène les féministes justement indignées à réexaminer en profondeur les mythes qui ont trop longtemps dénaturé leur cause.