L’homme, dit-on, remonte à
la plus haute antiquité. La femme aussi d’ailleurs, ce qui n’est pas sans poser
problèmes… On observera que si l’homme est aussi ancien, il ne s’use que très
modérément. En effet, qui d’entre vous a déjà pu croiser, par inadvertance, des
Mathusalem d’âge biblique, tout ridés et ratatinés, aux barbes blanches kilométriques,
assis sur une moignon renversé de colonne dorique, accoudés à une canne en
sarment de vigne torve et millénaire, en train de commenter, l’air réprobateur,
la hauteur d’ourlet sous le moteur de la jolie fille qui passe ? Ou en
train de délivrer l’enseignement de leur âge, oracle de Diogène ?
Personne… L’homme est lisse et rose ; qu’il soit guichetier des postes ou
employé du gaz ; parfois ondulé sorti tout droit de chez Alexandre avec le
décolleté immaculé le plus sexy de Paris quand il cause de la Libye à la
télé ; parfois même bouclé quand il est ministre du Viagra industriel.
Même le commis épicier de chez Félix Potin ou le commercial des Pompes Funèbres
Générales (lorsqu’il est endimanché, je
précise) mérite d’être immortalisé par Raymond Depardon en personne. Regardez
les jaquettes de Gala, de Gay-Pied, de Notre Temps (mais
pas de Play-Boy car l’homme y laisse toute
la place à l’autre genre, ce doit
être ce qu’on appelait la galanterie) : Dans tous ces regards réjouis, aucune
trace des prémisses d’Alzheimer…
L’homme est donc toujours dans la force de
l’âge, dans les émerveillements d’une tardive jeunesse ou les frémissements
d’une prématurité adolescente. Depuis la nuit des temps, il se déplace sur ses
pattes de derrière avec cette élégance et cette mâle assurance qui font
s’agiter les hormones des sauterelles botoxées comme des bourgeoises
middle-class et des shampouineuses mal baisées. Et ce n’est pas seulement le
cas des spécimens d’éphèbes hantant l’été les plages de Saint-Trop-Pèze. J’en
veux pour preuve que même des Corréziens d’élection, un peu enveloppés, en
chemise à manchettes et en prêt à porter qui draguent en voiturette électriques
ont du succès ! Si je cite cet exemple, ce n’est pas par hasard : dans
un échantillon, le zoologiste prendra toujours en référence le spécimen médian,
l’individu moyen, bref le plus normal. Celui qui lui semblera faire le
mieux la synthèse de l’ensemble
étudié. Dans lequel on pourrait retrouver aisément et tout à la fois Sébastien
Chabal et Justin Bieber.
Mais je m’égare…
L’homme, disais-je, remonte à la plus haute
antiquité. Comment est-ce possible ? C’est la simplicité même !
L’homme se régénère selon la vieille méthode du manche et de la lame du
couteau : Ce n’est plus lui et c’est encore lui. Pour être encore aussi
frais sur le papier glacé des magazines tout en étant aussi vieux, c’est que
l’homme a des aïeux encore plus vieux. Ce qui implique, notamment, que les
belles-mères remontent aussi à la plus haute antiquité. Aussi loin qu’on
remonte dans le temps, on ne peut échapper à cette évidence : l’homme
descend des belles-mères comme le singe du bananier. Pour partie seulement… Jusqu’à
avant-hier soir, l’homme savait (souvent d’ailleurs comme monsieur Jourdain
faisait de la prose…)
que quatre huitième de lui-même lui venaient de semblables ayant (de fait,
sinon en droit) la qualité de belles-mères. Cela lui convenait parfois très
moyennement mais, l’obscurantisme aidant, il faisait avec… Il est vrai que les
mères et les belles-mères des mères (et des pères parfois) sont de plus en plus
attrayantes, surtout sur les pages de Notre
Temps et dans les pubs pour des croisières ou pour des colles à scotcher
les dentiers. Cela est dû aux progrès de la science en générale et des
assurances sociales en particulier. Toutefois, si ce constat semble avéré sur
les supports susdits, il ne se vérifie qu’assez médiocrement par ailleurs, que
ce soit dans les foyers appropriés ou
dans le secret des familles. Il s’en suit toutes sortes de petites contrariétés
pouvant parfois déboucher sur un recours à des cellules d’assistance psychologique. Bien que ces dernières soient créatrices
d’emplois, l’acceptation de leur nécessité trahit un renoncement à l’horizon
indépassable du risque zéro et au
respect constitutionnel du principe de
précaution. Rien n’est donc encore
parfait.
Heureusement, l’homme n’arrête pas le progrès
et il peut faire confiance aux progrès de la science. Celle-ci se démène et ça nécessite
beaucoup de monde : des milliers de laboratoires, d’enseignants-chercheurs, de budgets
de la recherche, de ministères, de pôles
d’innovation, de subventions, de têtes d’œufs, de pôles d’excellence, de multinationales, de chimistes, de groupes
pharmaceutiques, de prix Nobel, peut-être même de prix Pulitzer, de
pétrochimistes, de comités d’éthique,
d’ingénieurs, de professeurs, de veilleurs de nuit au CNRS, de doctorants… et de
contribuables, ne les oublions pas. Toutes ces personnes : morales,
messieurs, dames et autres personnes physiques de genre parfois indéterminés s’emploient d’arrache-pied à libérer
l’homme de cette dépendance génétique superfétatoire.
C’est ainsi que, par exemple, l’homme sait depuis hier soir qu’en déroulant la
ficelle de son ADN pour s’en faire une main courante, il peut aisément faire
150 000 fois l’aller-retour de la Terre à la Lune sans se perdre en
chemin. Il le sait ; c’est même écrit dans Wikipédia. Mais je m’égare
encore…
De nos jours, les avancées les plus prometteuses permettent de régénérer l’homme dans des salles
blanches à l’aide de conteneurs cryogéniques, de cornues, de tubes à essai,
d’oscilloscopes, d’énucléation et de transferts de cellules, de sélection de
chromosomes, de centrifugeuses, de trucs à ions négatifs, de transferts en
phase aqueuse, de sédimentation pâteuse et de crèmes de soins… C’est ainsi que
l’homme descend de moins en moins des belles-mères et que les nouvelles
conditions de sa production contribuent de façon plus monétairement mesurable à
la hausse du Produit Intérieur Brut…
Au demeurant, on peut s’interroger sur la productivité et la compétitivité de ces nouveaux processus
industriels. Outre le fait que leurs nouveaux protocoles de traçabilité sont fréquemment plus flous
que dans la fabrication artisanale, la qualité du produit obtenu et le taux de
défaut constaté en sortie de chaîne ne traduisent aucune amélioration
significative.
Surtout, le prix de revient unitaire des spécimens
produits – en très faible quantité - se révèle extrêmement onéreux et très
supérieur aux prix pratiqués sur le marché mondial.
De ce fait, en dépit des formidables
perspectives de libération que les
progrès de la science offrent à l’homme, l’innovation ne peut résister à la
concurrence de procédés de fabrication artisanaux d’un archaïsme qui suscite l’épouvante.
D’énormes centres de production, notamment
africains et asiatiques arrivent ainsi à saturer le marché en produisant à
faible coût et à une cadence industrielle des articles, certes plus rustiques
mais moins fragiles, plus résistants, au mode d’emploi plus simple et moins
compliqués à entretenir que les produits innovants de la recherche.
Et cela par la seule force de la routine…