Relation
en deux actes avec leurs morales
des
tristes aventures des Ivan et Léonid
fourvoyés
dans les Alpes mais non sans leur portable.
Qu’est
ceci, je vous prie ? - C’est le titre…
Ayant
évoqué l’autre jour (ici) la stabilité du niveau moyen habituel des pertes humaines dans le
Massif du Mont Blanc en dépit de la hausse exponentielle de la fréquentation
(et donc de l’amateurisme…) il m’est revenu en mémoire diverses anecdotes véridiques
que me conta il y a quelques années le commandant en second du Peloton de Gendarmerie de Haute Montagne de Chamonix.
C’était
déjà l’époque où, grâce au redressement
productif (non
folklorique, celui-là)
opéré sous le premier mandat Poutine, les Russes fleurissaient à Chamonix comme
colchiques à la fin de l’été. Au point de faire parfois oublier les bandes de
rosbifs avinés qui, dans ce cul de vallée, pourrissent nos anciens bistrots
reconvertis, survie oblige, en faux pubs, vraies variantes tropéziennes du
kitch tyrolien.
Or
donc, les premiers Ivan et Léonid dont je veux vous parler (je n’ose plus les
appeler Vladimir et je m’en excuse) avaient entrepris
une ascension quelconque sans accompagnateurs autochtones. Ayant accumulé les
retards et les contrariétés tout au long de la course, nos deux guignols
rencontrèrent le brouillard sur le retour et se mirent à tourner en rond entre
deux crevasses dans un fouillis glaciaire. Sentant la nuit prochaine, ils
finirent par se préoccuper d’appeler les secours… Ouais, et comment fait-on au
juste ? Ils n’en avaient pas la moindre idée… Et les heures passaient…
Ils
avaient bien un téléphone portable à la batterie un peu faiblarde, mais quel
numéro composer ? Faute de mieux, ils appelèrent un premier numéro dont je
reparlerai… Puis, en fouillant dans sa poche, l’un d’eux en retira par hasard un
petit bout de papier froissé en boule : la facturette de l’épicerie où ils
avaient acheté la veille quelques provisions de bouche ; papier où était
imprimé… le numéro de la boutique !
Le
téléphone sonna enfin au PGHM. Au bout du fil, c’était… la gérante d’une
supérette du fond de la vallée qui s’apprêtait à fermer : "- Il y a des
Russes ou quelque chose de ce genre en difficulté là-haut !" ; "-
Où ça ?" ; "- Ils ne savent pas le dire." ; "-
Vous avez leur numéro ?" ; "- Non, ils ont raccroché et ça
ne s’affiche pas sur le téléphone de la boutique…" ; "- Il y a
des blessés ?" ; "- J’ai rien compris"… Bref, autant
chercher une aiguille dans une botte de foin sur 200 km ² de crêtes et de
ravins…
Il
faut dire qu’ignorant tout de la langue de Victor-Hugo et dotés d’un effroyable
accent moujik, nos deux Russkofs ne maîtrisaient guère qu’une trentaine de mots
en anglais, abstraction faite du vocabulaire international approprié pour la
beuverie et le péché de la chair…
La
pauvre épicière fut fermement invitée par les gendarmes à faire des heures sup’
plantée devant son téléphone pendant que le standard des pandores faisait le
tour des hôtels fréquentés par les slaves pour s’enquérir des clients non
rentrés de courses, de leur téléphones, des soupçons de fausse alerte… Et les
heures passaient…
Le
téléphone sonna de nouveau au PGHM. Au bout du fil, c’était… le quai d’Orsay !
Les deux gonzes avaient appelé… chez eux… quelque part entre Odessa et
Vladivostok. Et de fil en bureau d’apparatchik, via leur ambassade à Paris et
un gazier de permanence au ministère des affaires étrangères, l’appel au
secours arriva enfin au PGHM avec des informations exploitables et, notamment,
le n° de portable des deux paumés… Avec un interprète promptement
réquisitionné, on appela. Las ! Si les deux zigotos purent dire enfin d’où
ils revenaient, ils étaient incapables de préciser ne serait-ce qu’approximativement,
à quelle hauteur et plutôt de quel côté du glacier ils se trouvaient… Si !
Ils avaient remarqué un triangle de peinture verte sur un gros rocher. Ouais…
Le genre de repères placés par des glaciologues sur le glacier pour calculer
sa vitesse, donc repère qui se déplace…
Allez donc trouver au laboratoire de glaciologie quelqu’un pouvant vous
renseigner le soir à 23h… Je passe d’autres détails…
Bref,
pour résumer, le secteur de recherche étant quand même suffisamment délimité, l’hélico
est parti survoler la zone à balayer au projecteur. Pendant ce temps-là, voyant
la batterie du téléphone se vider inexorablement, les deux paumés voulaient
couper pour garder de quoi pouvoir, le cas échéant, dicter leurs dernières
volontés. Au centre opérationnel, l’interprète avait un mal fou à les retenir
en ligne : Il fallait que dans cette nuit sans lune, ils puissent dire en
temps réel quand ils entendraient l’hélicoptère s’approcher d’eux, ou s’éloigner...
Les
deux guignols sont rentrés tout penauds mais bien vivants. On ne les y
reprendra plus, sans guide et, surtout, sans numéros adéquats en mémoire. Notez
qu’on n’exploite jamais assez le potentiel que représente une facturette de
supérette…
__
Les
Ivan et Léonid suivants étaient d’une autre espèce. Nous les appellerons Youri
et Dimitri pour ne pas insulter les premiers. Youri et Dimitri étaient donc
partis faire le Mont Blanc en
personne (et sans personne) L’exercice s’étant révélé pour eux plus essoufflant
que prévu, nos deux hommes n’arrivèrent que fort tardivement au sommet. Ils
appelèrent alors l’office du tourisme :
"-
Nous sommes au sommet du Mt Blanc et très
en retard. Veuillez nous envoyer un hélicoptère."
"-
Vous êtes en difficulté ?"
"-
Oui. Nous avons un avion à prendre ce
soir à Genève et nous allons le rater."
"-
Sorry, Mr. Les vols taxis sont interdits
sur le massif. Nous ne sommes pas en Italie, ici. Seul le secours en montagne peut
survoler sans autorisation."
Il
insiste grave [je
résume un max]
En
désespoir de cause, la fille passe l’appel à la gendarmerie en lui expliquant
le truc. Le PGHM :
"-
Non, Monsieur, nous ne faisons pas le
taxi. Nous n’intervenons que s’il y a des blessés."
"-
Et si je vous dis qu’il y a un blessé ?"
"-
Alors nous sommes tenus de venir…"
"-
Et bien nous avons un blessé."
"-
Quel est la nature de la blessure ?"
"-
Fracture. La jambe, j’sais pas moi, le
fémur, le tibia…"
"-
Nous décollons tout de suite. "
Un
des deux mecs –en meilleure santé que vous et moi – joue la douleur et se fait
hélitreuiller. Ils sont dans les temps pour l’avion de Genève…
On
a beau être oligarque en son pays, on
ne peut pas tout prévoir : A peine atterri, attelé et ficelé sur la civière, le
gus est embarqué manu militari dans l’ambulance, direction l’hosto toutes
sirènes hurlantes. Là, plâtré du bassin aux orteils, il est mis "en
observation"… Principe de précaution
qu’on dit maintenant…
L’avion
avait décollé de Genève-Cointrin depuis belle lurette quand les médecins ont
signé son bon de sortie après application des prescriptions de l’ordonnance : quittance donnée du
paiement cash des coûts d’interventions, heure de vol, frais d’hospitalisation
et des amendes pour outrage à agents, fausse déclaration, abus de confiance, etc.
(le
procureur mis dans le coup avait eu le temps de soigner sa propre ordonnance pendant qu’on calmait le type
plâtré jusqu’au moteur dans son lit médicalisé…)
Bon,
je vous laisse pour aller faire mes confitures…
Pourquoi n'appliquent-ils pas le même procédé à tous les abuseurs des secours : plâtrer des pieds à la tête et présenter la facture, quitte à mensualiser jusqu'à la fin de leur jour s'ils n'ont pas des moyens d'oligarque ?
RépondreSupprimerPlâtrer les excités qui abusent des urgences et tapent sur les médecins qui ne sont pas du sexe qui leur convient, plâtrer ceux qui appellent les pompiers quand leur chat est bloqué dans un arbre, plâtrer les surfeurs inconscients qui dérivent au large.
Plâtrer et présenter la facture.
Aucune raison que le contribuable paie, avec le trou de la sécu.
Et ça résoudra la crise des plâtriers !
SupprimerJe ne sais pas s'il y a crise dans leur confrérie, mais ça sera à titre préventif.
Il y a toujours des cons qui se croi(v)ent plus forts que la montagne ou que la mer…
RépondreSupprimerEt des cons qui sont sûrs que tout leur est dû…