Elle
aussi s’en voulait et le rechercha. Pour elle c’était facile ; Schemeun,
ce n’était pas courant et il n’y en avait qu’un. Et avec une notice Wikipédia en
plus ! Même si la photo datait de plus de sept ans, il n’y avait aucun
doute possible : c’était bien lui.
A sa lecture, tout ce qu’elle avait échafaudé dans sa tête au cours de
l’après-midi s’effondra. Mais elle, elle ne s’effondra pas. Et elle lui trouva vite toutes
les tares possibles à la mesure de sa déception.
Elle qui
avait tant de fois changé de prénom, ne comprenait plus qu’on puisse porter
avec fierté un blaze aussi ridicule : Schemeun !
C’était bien la preuve de la fatuité gauche-caviar de ce mec ! Elle qui avait
été nourrie au lait de l’internationalisme et de l’égale dignité de toutes les
cultures ; elle qui s’était si souvent insurgée contre la codification
répressive des usages bourgeois, elle n’avait pas percuté que ce n’était après
tout qu’une manière exotique respectable d’orthographier Simon.
A
chaque fois, en se nommant, Sarah,
Sophia ou Soledad, elle avait fait un choix qu’elle jugeait signifiant. Mais sa conversion au côté obscure était trop récente et pas
encore assez enracinée pour qu’elle conçoive déjà qu’on puisse assumer un choix que d’autres ont fait pour
vous à votre place. Comme si ce n’était pas là une manière d’admettre, comme
elle avait commencé à faire, la valeur de la transmission et l’existence
d’un réel et de limites qu’on renonce en toute liberté à transgresser.
Elle
qui avait changé de nom, ça aurait pu lui faire penser à Simon, le
patron-pécheur analphabète à qui le Rabbi avait confié les clefs ; ou à
Simon le Zélote qui se battait pour libérer son peuple ; ou encore à Simon
de Cyrène, le Libyen qui traduisait sa compassion en actes Mais non. Pourtant, il y avait eu, fugacement entraperçu, un Simon
auquel elle aurait voulu confier sa
clef, un Simon pour la libérer, pour la comprendre…
Mais
on s’était bien gardé de lui raconter ces historiettes légendaires. D’ailleurs,
cela n’aurait pu se faire puisque ni ses parents ni ses éducateurs ne les connaissaient.
Non
seulement ce type était une ordure, gigolo se prostituant à un vieillard
pédéraste, agent d’influence et incarnation du désastre, mais il s’était en
plus sûrement foutu de sa gueule.
Le
soir du 18 Dix, épuisée et encore tremblante, elle avait fini par s’endormir. Pour
se réfugier dans ses rêves et échapper à cette horreur dont elle avait été à la
fois l’auteur et le témoin. Il n’y aura pas de fruit de leurs sèves.
Elle
rêvait d’un futur. Mais, maintenant qu’elle avait épousé le réel, ce futur n’avait plus d’avenir crédible. Alors, ce
futur, elle n’arrivait plus à se le représenter autrement qu’en rejouant le
passé : Elle se rêvait Pucelle de Vaucouleurs chevauchant, bannière au
vent, à la tête de milliers de soudards sans foi ni loi mais avides de trucider
du Godon. Montjoie Saint Denis ! Ou Geneviève. Ou, plus prosaïquement, Catherine
Ségurane, la lavandière qui bouta les Turcs hors de Nice après leur avoir
fièrement montré son cul.
Elle
qui avait vénéré Dolorès Ibárruri se voyait Soledad à Madrid. Elle sortait de
la tranchée pour reprendre la cité universitaire à ces connards de bolchos. Le
Luger d’une main, son étendard de l’autre, sangre
y oro, elle entrainait ses troupes derrière elle. Pas vraiment des
miliciens de la Phalange, ni des mercenaires marocains, ni même des requetés Carlistes…
Non, mais l’avenir fantasmé et fracassé de la Grande Espagne : rien que des
gamins, bonnets de police à pompon et fusils plus lourds qu’eux, des gamins naïfs,
maigres et bruns, qui finiront à la Valle
de los caídos mais qui la suivaient, tous confusément amoureux d’elle…
C’étaient ses rêves.
Et
puis ces deux détonations. Elle avait pulvérisé un décor en carton. Un de ces
décors de théâtre kitch sans plus d’épaisseur que celle que lui attribuaient les
parasites intermittents d’un spectacle virtuel. Deux détonations dont l'écho, répercuté entre les façades résonnait encore dans sa tête. Un écho où une oreille attentive aurait distingué le rire de Satan.
Car derrière ce décor, à l’insu de son plein gré, elle avait du même coup pulvérisé l’épaisseur vraie de Schemeun.
Car derrière ce décor, à l’insu de son plein gré, elle avait du même coup pulvérisé l’épaisseur vraie de Schemeun.
Heureusement
pour elle, elle ne le savait pas.
En
faisant son job de chienne de garde de l’Empire du Bien, Térébenthine lui avait
évité ça. Schemeun Sweborg avait pu resservir encore une fois pour l’avancée des Valeurs.
Sa
mort, dire qu’elle avait failli la louper ! Bon, l’enquête ne donnait toujours rien
; ça ne peut pas marcher à tous les coups. Mais la campagne-media est excellente !
Si ces idiots de flics ne nous trouvent rien, il suffira de passer vite-fait à
autre chose… Ce fut quand-même une belle occasion de piqure de rappel ! Ce
rappel récurrent de l’absolue nécessité d’écraser
l’infâme toujours opportunément renaissant. Indispensable rappel pour
justifier l’utilité des prébendiers du Système.
Térébenthine
sait recycler. C’est durable…
( à suivre... )