François
n’arrêtait pas de penser à la fille.
En sortant du
quai des Orfèvres, il décida de rentrer à pied. Une bonne heure de marche lui
ferait du bien. Il n’avait jamais autant
regardé les jeunes femmes dans la rue, espérant confusément la revoir…
Moins fatigué
par la marche en soi que par l’épuisant slalom entre les touristes, livreurs et
traîne-patins qui encombraient les trottoirs, il décida de faire un petit
détour pour aller boire un café ; mais pas n’importe où…
La devanture
n’était guère plus avenante que celle de l’épicier arabe du coin. La peinture
écaillée laissait deviner que la taule s’était autrefois donné un genre de pub
irlandais où l’on venait les soirs de matchs. Si les commerces qui marchent ont coutume de renouveler tous
les quatre ans déco et agencement pour regarnir leurs amortissements
déductibles, ce n’était pas le cas ici. Les exploitants avaient fait
d’entrée de jeu le minimum syndical et ça suffisait comme ça depuis au moins
vingt ans. On distinguait encore l’ancien nom effacé, O’Looney’s, derrière l’enseigne actuelle : "Café du Pays perdu"…
François
poussa la porte et entra. Il portait sa tenue
de travail des jours où il mendiait mais c’était sans importance. Le
taulier savait qu’il était propre, ne se saoulerai pas la gueule et avait de
quoi payer ses consommations.
Et puis, vu la clientèle, il ne faisait pas si tache que ça…
François
était venu là pour reposer ses pieds, sans autre intention que de cogiter, seul
et au chaud. Mais ça ne dura pas. Le hasard - mais est-ce le hasard - a voulu que
Fabien entre alors, le voit, vienne le saluer et tout naturellement s’asseoir
en face de lui. C’était le fils d’un ami de jeunesse. Le père et François s’étaient
éloignés l’un de l’autre au fil de leurs ambitions de carrière, mais le fils
conservait une amitié quasi filiale pour François qui lui avait beaucoup plus appris
sur la vie que ses parents. Ils ne se voyaient pas souvent mais n’étaient
pas du genre à n’avoir rien à se dire. La trentaine avancée et très dégarni, Fabien
avait quitté ce qui restait de l’armée après un premier engagement. On ne
savait pas trop ce qu’il faisait depuis. Il n’en parlait jamais et
François se disait qu’il valait peut-être mieux ne pas savoir…
Fabien lui
trouva l’air préoccupé, les yeux dans le vague et s’inquiéta de sa santé. François, lui, avait besoin de parler à quelqu'un, de parler de cette fille… Sans faire la
moindre allusion à la rue Guy Môquet, il avait suffisamment d’imagination pour
inventer une histoire un peu tirée par les cheveux mais somme-toute crédible justifiant
qu’il cherchait à retrouver une jeune fille dont il ne savait rien. Sauf qu’il
pouvait parfaitement la décrire.
François fit alors à Fabien un portrait de la fille aussi complet que possible, de sa mèche à sa démarche. Le nez dans sa bière, Fabien écoutait attentivement François qui savait traduire en mots l'impression de volonté qui se dégageait d'elle. Il précisa pour conclure qu'il ignorait le son de sa voix. Puis, après un temps d'arrêt, il ajouta encore un détail oublié concernant ses sourcils qu’elle avait assez fournis.
François fit alors à Fabien un portrait de la fille aussi complet que possible, de sa mèche à sa démarche. Le nez dans sa bière, Fabien écoutait attentivement François qui savait traduire en mots l'impression de volonté qui se dégageait d'elle. Il précisa pour conclure qu'il ignorait le son de sa voix. Puis, après un temps d'arrêt, il ajouta encore un détail oublié concernant ses sourcils qu’elle avait assez fournis.
Fabien releva
alors la tête. "- Celle que tu décris me fais penser à quelqu’un !"
Il ne savait
pas qui elle était ; il l’avait croisée
deux ou trois fois ; il ne savait
plus où mais François qui le
connaissait bien sentait que peut-être il ne voulait
pas dire où… C’était a priori une étudiante de dix-neuf ou vingt ans mais il ne
savait pas en quoi ni où. Et il n’avait aucune idée de l’endroit où elle
habitait. En tout cas, elle correspondait en tous points à la description de
François !
"- Comment
s’appelle-t-elle ?"
"- Je l’ignore. Mais son prénom c’est… attends… oui, c’est ça : Soledad !"
"- Et
pour le peu que tu dis l’avoir aperçue, tu en dirais quoi ?"
"- Elle
est givrée…"
( à suivre... )
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