Vaguement
placé sous la tutelle aussi distante qu’approximative de correspondants de sa
mère qualifiés de référents dans la
paperasserie scolaire et sociale, Schemeun était parti pour passer la
totalité de son adolescence encabané à temps plein dans un internat. Une de ces
boutiques qui dispensaient principalement à des enfants d’énarques, de riches expatriés
et de diplomates étrangers une formation middle
et high school revue à la mode
française. Mais cela n’allait pas durer beaucoup plus de deux ans.
Au cours de ses
deux premières années en France, Schemeun grandit
en âge et en sagesse sans poser de problème à quiconque. Docile et plutôt
falot aux dires de ses enseignants,
il occupait sa vie d’interne à la lecture et à la fréquentation assidue de la
salle de sport. Occasionnellement, il meublait ses temps morts et ses temps
vides en matant des séries télé sans négliger de se tripoter un zizi en voie
d’épanouissement.
Ses rapports
avec sa mère avoisinaient le zéro absolu sur l’échelle du néant. Il l’avait si
rarement et subrepticement rencontrée qu’il ne pouvait pas soupçonner au style
que la lettre quadrimestrielle puis semestrielle de huit lignes (courier new, police
12) qu’il recevait d’elle
était pondue par sa secrétaire qui suivait scrupuleusement son agenda.
D’ailleurs, il a vite cessé de les lire.
La relation
avec les Zorglub, en revanche, était plus étroite,
si tant est que ce qualificatif signifie ici quelque chose, tout étant si
relatif… Le couple Zorglub était le référent
qui signait tous les mois ses bulletins scolaires par internet et
l’alimentait en argent de poche par courrier. Mais surtout, il les voyait. Ils se voyaient à une fréquence
au moins… pluriannuelle. Passé la banalité et l’affection mondaine de commande
de leurs questionnements sur sa vie scolaire, leur conversation était d’un
boboïsme affligeant. Mais Schemeun était encore trop jeune et hors du monde
pour s’en rendre compte. En tout était de cause et aussi distendue soit-elle, la
fréquentation d’Edmond et Sabrina Zorglub était pour le jeune Sweborg quelque
chose de l’ordre de l’humain…
Les Zorglub
étaient l’incarnation la plus caricaturale des bobos parisiens. Sans enfants et
fiers de s’acquitter de leur 71% d’IRPP, ils étaient trop. Au point qu’on n’aurait pas pu les inventer. Depuis que les
temps avaient changé, ils avaient
renoncé aux virées conviviales en rollers du vendredi soir et à leur loft de Belleville. Ils s’étaient
repliés dans un duplex aux portes blindées à Levallois-Perret et Sabrina n’en
sortait plus qu’en plein jour, en vélib’, sans bijoux ni vêtements de marque pour ne pas choquer la jeunesse. Bien
sûr, s’ils ne faisaient plus de roller le soir, c’était parce qu’ils n’étaient plus tout jeunes. Leur départ
de Belleville n’était justifié que par l’opportunité d’une soi-disant juteuse
plus-value immobilière passée fiscalement à l’as à laquelle personne n’a cru.
Bien sûr aussi, leur choix de Levallois plutôt que Neuilly tenait à la
proximité du club privé-sécurisé de fitness
fréquenté par le couple, pas du tout à la martingale ayant permis au maire
encore socialiste de Levallois d’échapper au quota de 90% de logements sociaux…
Et, s’ils affirmaient ne jamais regarder la télé réservée aux ploucs, ils
suivaient scrupuleusement sur les sites
d’information sérieux les aléas et subtiles
dérives du politiquement correct pour
être sûr de ne jamais s’écarter du milieu du courant. L’attention qu’ils portaient
à la chose n’allait pas, toutefois, jusqu’à leur faire remarquer les rats morts,
les chiens crevés et les résidus de copulations lasses qui flottaient à leurs
côtés et avançaient au même rythme qu’eux vers une hypothétique station d’épuration…
Mais là où
les Zorglub étaient très forts et en remontraient à tous les guignols de la
lumpenjet-set, c’était dans la gestion de leur carnet d’adresse et leur aptitude
à s’insinuer dans les coquetèles les
plus fermés comme dans le champ visuel des autorités
morales du moment.
Ils adoraient
ça, surtout pour le retour sur
investissement qu’ils en attendaient. Leur savoir-faire dans ce domaine
leur permettait en effet de briller dans les salons de leur niveau, c’est-à-dire les dîners en ville, les apéros entre
collègues, les barbecues de week-end chez Machin en vallée de Chevreuse ou les
beuveries d’après-ski à Courchevel. Sabrina jubilait de lire du dépit ou de la
jalousie dans les yeux de ses copines
quand elle leur racontait - en en rajoutant un peu - que le Secrétaire d’Etat
Bambaa en charge de la pénibilité durable
lui avait mis la main sur l’épaule ou que Torchon, le présentateur vedette du
20h, lui avait lancé un clin d’œil de braise. Les Zorglub avaient des joies
simples…
Mais c’est
cette innocente manie qui allait faire basculer la vie de Schemeun Sweborg.
( à suivre... )
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