Schemeun
avait failli s’étouffer de rire…
Le vieux type
qui causait dans le poste était une relation de Paul qui s’en était servi comme
potiche décorative à la Fondation. Il est vrai qu’il avait tout à fait le genre
qu’il faut pour être invité dans un débat télévisé sur la grande misère des Masaïs Kényans dans le Neuf-Trois. Ce que ce
type venait de dire ce soir-là sur la dignité
de ces pauvres Masaïs, Schemeun avait trouvé que c’était aussi beau et poignant
que Bécassine c’est ma cousine
interprété au siècle dernier par Chantal Goya.
Il avait ri.
Il s’était surpris à rire. Depuis quand n’avait-il plus rigolé comme ça ?
Question
idiote que s’adressa alors à lui-même ce jeune homme déjà vieux garçon.
La réponse, il la trouva très vite : Il n’avait plus ri depuis cette année de pensionnat en classe de 4° où on lui laissait encore le temps de lire des bandes dessinées. Et il avait maintenant vingt-quatre ans.
La réponse, il la trouva très vite : Il n’avait plus ri depuis cette année de pensionnat en classe de 4° où on lui laissait encore le temps de lire des bandes dessinées. Et il avait maintenant vingt-quatre ans.
D’ailleurs,
curieusement, il ne se souvenait pas des
BD qui l’avaient fait rire. En revanche, il se souvenait assez bien d’autres albums qu’il lisait avidement,
concentré et sérieux. Parmi ceux-ci, par exemple, il y en avait d’un certain
Van Hamme qui usinait des scénarios à la chaîne. Notamment la série des XIII, les Thorgal, les Maîtres de
l’orge, et même les premiers Largo
Winch. Et Schemeun se demandait maintenant pourquoi il accrochait à ces histoires. En réfléchissant, il se fit une
remarque qui n’avait pu que lui échapper lorsqu'il avait treize ans. Très différentes par le
contexte, l’époque, l’intrigue, voire le style du dessinateur, elles suivaient
toujours toutes à peu près le même fil rouge :
La recherche des origines, du père, le poids de la lignée, de l’identité… En
quelque sorte quelque chose qui avait trait à la Transmission. Bien sûr, un psychoquelquechoselogue connaissant le
CV initial du jeune Sweborg pourrait en écrire des tartines. En tout cas, pour
Schemeun, cette prise de conscience fut sans doute le premier déclic…
Cela faisait maintenant
plus de trois ans qu’il avait changé de
vie.
Changer de
vie, ça lui était déjà arrivé une fois. Après cette année de 4°, justement. Le
fameux soir de l’inauguration du Nouvel
Homme de Farukami, en rentrant, il avait déjà confusément compris. Mais pas
tout. Et surtout pas que rien ne sera plus jamais pour lui comme avant. Une
fois les Zorglub couchés, il était retourné dans la salle de bain se contempler
en slip devant la grande glace en pied. Il se voyait alors un peu comme le Tadzio du Mort à Venise de Visconti,
Mais au lieu d’un vieux compositeur romantique, il était tombé sur quelque
chose comme un gros capitaine d’industrie amerloque ou un gras promoteur immobilier
levantin auxquels rien ne résiste.
Bien sûr,
Paul Gerbé lui avait tout donné. Sa fortune, certes, mais aussi le meilleur du
savoir et du savoir-faire nécessaire pour accroître sa puissance, s’imposer aux
autres et leur imposer sa propre façon de voir… Pour ce qui est du savoir-être,
Schemeun n’en était pas encore à se poser ce genre de question. Mais il
commença alors à réaliser qu’il lui avait aussi tout pris. Du jour où Paul
l’avait pris en main, il avait cessé
de rire. Il n’avait alors plus fait qu’apprendre, encore et encore. Durant six ans, chacun
de ses instants a dû être profitable,
rentabilisé, investi…
Lorsque Paul
avait commencé à faire naufrage, physiquement puis mentalement, il s’était passionné
pour ce qu’il devait alors faire, que ce soit conduire les affaires de son père
adoptif ou manipuler les pantins s’imaginant régner sur la Politique et la
Culture. Il s’enivrait d’être considéré et craint à vingt ans !
Il savait que
les idéaux de Paul étaient violemment rejetés par certains. Mais il y a toujours quelques
obscurantistes attardés qu’il est légitime d’écraser par tous moyens pour
avancer. C’est ce que Paul lui avait appris et fait confirmer par les meilleurs
professeurs. Comment aurait-il pu savoir, lui Schemeun, que ça pouvait être différent ?
Après
l’épisode du psychodrame injuste qui l’avait viré de la Fondation, ce fut
pénible un bon moment. Il avait alors subi toutes sortes de contrôles fiscaux et dû
raser les murs dans une véritable clandestinité sociale. Mais la presse l'oublia vite…. Au début, ne plus pouvoir manipuler les medias et les
assocs’ lui avait manqué mais cela lui avait assez vite passé. Et il avait
suffisamment à faire pour gérer sa fortune sans devoir aller vendre ses
compétences contre salaire. Mais avait-il vraiment changé de vie ?
A vingt-deux
ans, habitué à n'évoluer que dans les conseils d’administration feutrés et les coquetèles cultureux parisiens, il n’avait jamais été "en
boîte" et n’avait pas d’amis. Exfiltré
de la vraie vie par Paul avant la plénitude de sa puberté, il n’avait vécu que dans le monde asexué d’un affairisme de tous
les instants. Un milieu, surtout, où il était naturel de porter exclusivement ses élans de la chair vers ses semblables, semblables à... tous les étages. Sage principe de précaution
et d’efficacité qui évitait tout souci.
Bref, aussi hallucinant qu’il puisse paraître, s’il ne semblait pas s"intéresser aux femmes, c’était tout bêtement parce qu’il ne savait pas comment faire avec elles…
Bref, aussi hallucinant qu’il puisse paraître, s’il ne semblait pas s"intéresser aux femmes, c’était tout bêtement parce qu’il ne savait pas comment faire avec elles…
( à suivre... )
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