Sans se faire trop d’illusions,
Galipoff s’était astreint à réinterroger tous les témoins présents sur la scène de crime. Après avoir subi le
torrent de jérémiades des deux africaines, des régularisées parfaitement intégrées,
l’une serveuse de cantine scolaire et l’autre assistante maternelle, il leva
une paupière quand le jeune commerçant chinetoque évoqua le chouraveur à
capuche dont la présence l’empêchait de regarder dehors. Pourrait-il s’agir
d’un complice étant là pour s’assurer que le travail allait bien se faire ? Le portrait-robot établi avec
l’aide du Chinois ne donna rien… D’ailleurs, il comptait beaucoup plus sur
l’interrogatoire de François Réséda qu’il savait intelligent et bon observateur
de la vie de la rue.
François appréhendait cet entretien
avec Galipoff qui était un type futé. En s’y rendant, il se remémorait son
premier témoignage et n’était plus sûr d’avoir dit remarquer les deux négresses
avant. Il ne fallait pas qu’il se
contredise et puisse lui faire admettre qu'il n'avait pas regardé du côté où
était la fille. Mais il se demandait toujours pourquoi il agissait comme ça…
L’interrogatoire suivit la procédure
mais de façon décontractée ; ils se connaissaient.
"- Et à part ça, tu n’as pas vu
passer une jeune femme ?" Galipoff venait de sauter du coq à l’âne en
le regardant droit dans les yeux. "- Non !" François n’avait ni
cillé ni rougi mais sa chemise était brusquement devenue humide au creux des
reins… Galipoff n’insista pas. En le raccompagnant dans le couloir, chose
inhabituelle avec les témoins, il lâcha "- Tu y crois, toi, à ce que
disent les journaux ?" François fit une moue dubitative sans
répondre. Ils se regardèrent. Ils se comprenaient…
Les enquêtes sur les relations, les
affaires et la vie de Sweborg comme la fouille minutieuse de son luxueux
appartement laissaient Galipoff perplexe.
Pour le volet financier, tout était kleen et tiré au cordeau. Des arbitrages
de placements intelligents et des risques calculés, toujours
judicieux et légaux pris par un type compétent qui, de ce côté-là, savait
parfaitement où il allait. C’était donc dans l’épluchage de ses relations
et de sa vie quotidienne que Galipoff mettait tous ses espoirs.
Ses fichiers, carnets d’adresses et
autres agendas comme le relevé de ses communications ne donnaient rien. On n’y
trouvait que ses banquiers, assureurs, fournisseurs, médecins, livreurs de
pizzas et femme de ménage qui, tous, furent cuisinés sans résultat. A part ça,
pas de femmes et, curieusement, même pas de mecs. Comme si ce type ne vivait pas...
Son vaste salon et sa riche
bibliothèque ressemblaient à un décor de film : Tout y était à sa place.
Pas une revue qui traîne, des bibelots de prix et des rayonnages de livres
d’art auxquels il n’avait manifestement pas dû toucher depuis des années. Le
tout égayé par un petit bouquet de fleurs que la femme de ménage avait
instruction de renouveler. Galipoff nota qu’on n’y trouvait strictement rien
pouvant rappeler le souvenir de Paul Gerbé…
Le plus étrange, voire
incompréhensible si l’on songe à son passé, c’était son bureau où régnait un
relatif désordre. On y trouvait en effet toutes sortes de bouquins en version
papier commandés à l’étranger par internet. Il devait lire beaucoup et
principalement des livres que l’on n’éditait plus en France depuis longtemps.
Ça allait d’ouvrages d’historiens inconnus comme un certain Chaunu à un roman
de fiction au titre bizarre : Le camp des saints. Il y avait aussi les
œuvres complètes d’un dénommé Renaud Camus rééditées dans l’Etat autonome de
Nord-Ecosse. Celui-là était mort en exil et Galipoff en avait entendu parler
car un député d’EUV (Empathie Universelle Végétalienne, éphémère avatar avant prochaine scission de l’EELV
historique) avait
récemment évoqué ce type en défendant une proposition de loi. Vite enterrée en
commission, elle visait à rétablir la peine de mort pour les incitations au racisme.
Schemeun Sweborg, LE giton
crépusculaire DU Paul Gerbé lisait ce genre de trucs ! Galipoff se mit à
rire en pensant aux émois de Térébenthine Duclos-Cantamerlo, chef suprême de
toutes les polices…
Il réfléchissait à cette énigme dans
son bureau lorsque l’expert lui apporta enfin l’analyse du disque dur de
l’ordinateur de Schemeun. Galipoff se mit alors à dérouler machinalement
les opérations dont la bête avait gardé les traces et où l’homme de l’art
n’avait rien repéré de suspect.
Brusquement, il se raidit. L’avant
dernière nuit avant le meurtre, Sweborg avait consulté tous les annuaires
téléphoniques et fait des recherches sur Google. Il en avait fait défiler des
pages et des pages en ouvrant de temps en temps des liens. Il avait dû y passer
des heures.
Et cela toujours avec la même requête
sur un seul mot-clef : "Soledad"…
(
à suivre... )
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