Bon. Voici venue la fin des ouacances… Début juillet je n’avais pas fait la saisie du texte, début août je me suis laissé distraire par le Ramadan… Mais mieux vaut tard que jamais. Voici donc pour marquer le dernier ouiquende de ‘‘retour orange et rouge’’ :
Parmi d’autres calamités, les journaux annoncent les vacances. En grosses manchettes, avec des sous-titres effrayants : « Trains complets », « Les embouteillages », « Les villes-étapes sont engorgées. Cent mille gendarmes sur les routes, vingt hélicoptères, six mille trains, quatre ou cinq millions de « vacanciers ». C’est une page de Céline, un bilan de catastrophe, « et ce n’est pas encore le grand rush ». L’homme fuit les H.L.M. comme l’invasion allemande. Fatigué de faire sécher ses chaussettes au dixième, sur une ficelle, à une fenêtre de banlieue, il a formé le rêve obsédant de les faire sécher au rez-de-chaussée, devant une tente inconfortable, dans un camp de cent mille Parisiens.
Il va chercher un terrain vague. Quelques orties, un peu de poussière et trois chardons. Pour y accrocher son transistor et sa ficelle à sécher le linge. Tel est l’espoir de ce père de famille. Il ne va pas en villégiature, il transhume. Par troupeaux épais.
« La sortie de Paris est fluide. » Voilà ; l’homme est devenu fluide. Autrefois il fut granuleux. Chacun des grains comptait. Sa naissance et sa mort s’entouraient de mille cérémonies. Son mariage faisait mille histoires. On n’en finissait pas de chanter sur son cercueil. On n’imaginait pas que le bonheur de la masse fut autre chose que le bonheur de l’individu multiplié par un grand nombre. Nous avons changé tout cela ; il y a maintenant des bonheurs de groupe qui se passent parfaitement de la joie de l’individu. On ne veut plus voir cet homme. On l’enterre au galop. Il ne compte plus qu’en masse ; pâteuse ; l’individu est devenu pâteux ; on le travaille comme les berlingots ; on l’amalgame, on le pétrit, on l’étire, on le lance sur un crochet, on l’allonge et on le tord ; en tire-bouchon ; après ça, on le débite. « Les sorties de Paris sont fluides. » L’homme est enfin devenu pâteux.
Dans cet état, on le travaille mieux. Il faut croire que c’est son rêve. Ne lui gâchons pas son plaisir…
Alexandre Vialatte – Chronique (date indéterminée, sans doute dans les années 60)
Et encore, ça remonte à cinquante ans, cette
RépondreSupprimeraffaire. Qu'est-ce qu'il dirait maintenant ce cher Vialatte? Non seulement il est pâteux,
l'homme, mais en plus il a tendance à noircir!
A l'époque, encore, on pouvait planter sa tente dans un terrain vague. Aujourd'hui ce privilège est réservé à certaines catégories de population.
Le commun des mortels a intérêt à éviter...
Amitiés.