"Si la capacité des cons à s'auto-éliminer ne doit pas être négligée, la volonté effarante du monde moderne et de l'Etat-providence à les sauver rend vain tout espoir de sélection naturelle"

"Il y a deux aristocraties : celle du haut et celle du bas. Entre les deux, il y a nous, qui faisons la force de la France.

lundi 12 juillet 2010

Diversité et mésaventures de Nestorio Cortizone 2 & Fin

NDLR : Vous trouverez ci-après la suite promise du précédent billet. Toutefois, pour répondre à certaines interrogations, il m’a semblé nécessaire d’insérer au préalable ici le copié-collé d’un extrait de la notice biographique de Nestorio Cortizone qui semble avoir curieusement disparu de Wikipédia :

Cinéaste atypique, Nestorio Cortizone est né à Moscou le 2 mai 1935 (jour de la signature du traité Staline-Laval d’assistance mutuelle entre la France et l’URSS) Il est le fils d’Armando Cortizone, ouvrier sidérurgiste condisciple de Togliatti ayant fui l’Italie fasciste pour échouer à Moscou où il occupait un poste subalterne dans la bureaucratie du Komintern. On notera que son arrière-grand-père, Allonzanfan Cortizone avait été garde du corps de Giuseppe Garibaldi.
Sa mère, née Magdala Espavantourian, initialement de citoyenneté turque et rescapée du génocide arménien, était issue d’une famille enrichie dans le commerce. Le grand-père maternel du petit Nestorio aurait toutefois débuté dans la vie comme simple sucreur de loukoums à Erevan avant de faire fortune dans la contrebande transcaucasienne.
En 1946, son père ayant été affecté aux fonctions enviées, sinon enviables, de contrôleur interne auprès du PCI, le petit Nestorio, alors fier komsomolets âgé de onze ans, quitte sans regrets la promiscuité des appartements communautaires pour se retrouver à Rome. Là, il va voir en cachette tous les films de Rossellini, Germi, Fellini, etc. auxquels il ne comprend rien mais qui formatent sa future esthétique. Fasciné par le cinéma, il s’intéresse à l’écriture et, adolescent, se faufile à Cinecittà pour y jouer les utilités. Après le divorce de ses parents, il quitte Rome pour suivre sa mère partie à Paris épouser son nouvel amant, un libano-bosniaque très introduit dans les milieux cultureux et, accessoirement, dans la contrebande de cigarettes. Alors âgé de 17 ans, Nestorio arrive à Paris le 5 mars 1953, jour de la mort de Staline. Tout émotionné le garçon ne manque pas de se rendre à la "grand-messe" de deuil organisée le mardi suivant au Vel’d’Hiv par l’Humanité, clôturant ainsi son enfance de fils d’apparatchik avant de se lancer bientôt dans une fréquentation assidue et émerveillée des nuits de Saint-Germain-des-prés… Etudiant à éclipse aux beaux-arts, un temps impressionné par le surréalisme moribond, c’est grâce aux introductions de son beau-père (et aussi impressionné par les ascendances antifascistes du jeune homme) qu’en 1955 Alain Resnais consent avec indulgence à prendre le poupin Nestorio sous son aile…
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Mais revenons-en à notre affaire :

Or donc, Nestorio Cortizone commença à travailler à son projet de téléfilm sur la soirée du Jeudi Saint.

Pour tenir les rôles des "douze", tout d’abord, soucieux de se conformer à l’air du temps et d’afficher ses propres convictions égalitaro-paritaristes, il prit soin de virer plusieurs apôtres mineurs afin d’introduire quelques femelles dans sa distribution : la Magdaléenne, of course, et les autres Marie (la Jacobée, la Salomée, allez savoir…) Restait à trouver un truc pour mettre sa "patte", sa signature originale, sur le scénario. Il avait bien pensé à quelque chose d’aussi "fort" que la scène finale de "Lol, peut-être" son grand succès de 1962 ( on y voyait le Spoutnik passer en faisant bip-bip au-dessus de la mer de Barentz dont les vagues venaient mourir en éclaboussant les franges du tapis élimé de la salle à manger de Karlovy Vary…) Mais il y renonça, trouvant que c’était sans doute "trop" pour le cerveau des zombies scotchés à leur télécommande. A vrai dire, il ne s’était jusqu’alors jamais soucié du ressenti des dits zombies. Ceux-ci n’étaient pour lui qu’une abstraction chiffrée, un nombre d’entrées en salles. Nombre toujours minable mais c’était sans importance, seules comptant les louanges acquises d’avance de la critique établie et, surtout, leurs retombées concrètes aux guichets de la Réunion des Artistes Subventionnés… Pourtant, curieusement (l’âge sans doute…) un zeste de lucidité lui rappelait l’existence de ces zombies puisque après tout, d’une façon ou d’une autre, ce sont eux qui le paient. L’existence de ces gens n’avait beau lui effleurer l’esprit que de façon fugace et subsidiaire, pour Nestorio Cortizone, une telle pensée était nouvelle et il trouvait çà assez déroutant…
Donc, quelle touche "personnelle", que dis-je, cortizonienne, apporter dans cette "tranche de vie" de quelques heures dont la trame du scénario est codifiée et archi-connue ?

Il ne faut pas oublier que le jeune Nestorio avait été nourri au sein de l’athéisme militant et sans nuance du bolchevisme le plus orthodoxe. Il lui en était resté la conviction classique que le phénomène religieux n’était qu’un fantasme de substitution servant d’anxiolytique aux masses incultes. Quant au christianisme, ce n’était à ses yeux qu’un résidu obsolète de temps pré-rationnels, servant de béquilles à quelques vieilles bigotes ménopausées exploitées sans scrupules par de vieux curés lubriques et pédophiles. Autant dire que sa culture dans ce domaine avoisinait le zéro absolu sur l’échelle du néant. Il ne faut pas non plus se méprendre sur les raisons de son éblouissement devant le tableau de Léonard de Vinci ; rien à voir avec le chemin de Damas ! Avec son sens de l’esthétique et, surtout, son sens professionnel du plan-séquence, il avait été subjugué par la diversité des expressions des visages, des attitudes, des postures et des sentiments suggérés… Bref, il avait réalisé dans l’instant toutes les variations dont il pourrait enrichir l’intrigue.
Décidé à passer à l’acte, il s’était grossièrement renseigné sur le contexte : l’épisode de la "légende" qu’illustrait le tableau. Constatant qu’il ignorait tout de ces historiettes, il avait tenu à s’adjoindre un "comité scientifique", non par souci de rigueur, mais pour éviter de se faire ramasser comme inculte, la pire des insultes pour un artiste et un intellectuel comme lui. Et puis ça faisait bien… En plus, les guignols sollicités étaient enchantés d’avoir été distingués, de profiter de quelques dîners pour pas un rond et de la perspective éventuelle de passer à la télé dans un débat post-diffusion. Bref, ils lui seront d’autant plus redevables qu’ils n’auront quasiment rien à foutre… Nestorio Cortizone, en effet, n’avait cure de la cohérence de son œuvre avec la lecture traditionnelle du sujet. Au contraire, susciter l’ire de quelques archevêques cacochymes et lefévbristes au crânes rasés ne lui déplairait pas, c’est bon pour la pub. Ses "consultants scientifiques" s’en doutaient et frétillaient d’aise à l’idée de pouvoir revalider leur certificat de modernité en montrant leur soutien à la liberté de création artistique… Finalement, la seule chose que redoutait Cortizone, c’était, emporté par son imagination créative, de laisser passer un truc qui pourrait lui être reprochée par les autorités morales. Bien que son milieu en soit par principe épargné, on sait comme la moindre broutille peut vite être montée en épingle avec d’éventuelles conséquences désastreuses sur les droits de tirage du fautif au titre de la Réunion des Artistes Subventionnés… Dans la suite de cette affaire, sachez donc que Nestorio Cortizone accorda toujours plus d’attention aux avis tranchés (et rémunérés) de ses avocats qu’aux avis nuancés d’obséquiosité jésuitique de son comité scientifique…

Bon. La logistique étant en place, il s’agissait de trouver sans attendre la "touche personnelle" qui renouvellera et pimentera le scénario. Pour se faire, Nestorio Cortizone partit de deux présupposés dont il s’était convaincu tout seul comme un grand : Le premier tenait au caractère selon lui essentiellement festif et convivial du repas rituel de la pâque juive. Le second, toujours selon lui, tenait aux origines fondamentalement hasardeuses du christianisme. Dépourvu d’autres références que celles de son propre catéchisme d’enfant, c’est dans le schéma de ce dernier qu’il lisait cette histoire nouvelle pour lui : Marx, Lénine et Staline = Yeshoua, Paul de Tarce et Constantin. Sauf que Marx c’était Marx et que Yeshoua le Nazaréen c’était RIEN… un illuminé mythomane avec une bande de copains qui fricotaient "borderline" et qui a joué sa vie au poker-menteur. Ses potes ont cru à son truc. Une chance sur ?…
Au poker… Vint alors à Nestorio Cortizone une idée qui lui semblait géniale : remplacer le dîner par une table de jeu ! Voilà qui va faire un buzz… Et ça a donné ceci :

Ouais… le comité a réagi mollement. La Morandais a fait la moue. Le bon Gaillot au sourire beat a timidement relevé que la pile de jetons de casino en lieu et place du pain et du vin était une apologie du tout fric blin-bling, une justification des yachts et paradis fiscaux, etc. C’était une grave insulte aux désirs simples des pauvres gens… Et puis qu’il vaudrait mieux placer l’action aujourd’hui, dans un contexte où les gens se reconnaissent dans la banalité de leur quotidien… Terras, lui, n’a rien dit, s’en foutant visiblement, la scène ne donnant pas l’occasion de ridiculiser tel ou tel évêque contemporain.
Mais le plus grave, ce fut la réaction de l’avocat. Il faut toujours se méfier des avocats :
"Cette illustration du repas de Pessah par une table de casino, peut être interprétée comme une allusion perfide à une prétendue appétence juive pour la rapacité financière et l’argent facile. On va tout droit au procès pour antisémitisme" qu’il a dit le baveux.
Du coup, Nestorio Cortizone est parti refaire sa copie en s’inspirant des suggestions de l’évêque de Parténia. Et ça a donné ceci :

Le cinéaste était content de lui : Un Jésus beauf de banlieue, sa mère en vierge ménopausée assise à sa droite comme note trans-générationnelle, St Jean en marcel, la Magdaléenne en working-girl penchée sur le Maître, Simon-Pierre doyen du groupe en aparté avec la pécheresse aux parfums, Simon le Zélote plutôt en parrain corse, Matthieu Lévi avec cigare, Jacques lui cassant les oreilles avec son contrôle fiscal pendant que Jean fils de Zébédée regarde d’un air sombre l’Iscariote au regard fuyant, déjà debout en bout de table et pressé de partir…
Ouais… La Morandais fait la moue. Gaillot reste dans une béatitude silencieuse et admirative. Et voilà que Terras s’écroule de rire : "Vous ? LE Cortizone ? Vous en êtes réduit à nous faire du Sautet ! Du Bacri-Jaoui !" Et le plus grave, c’est que le baveux opine et sort l’argument qui tue : "Ce n’est plus guère vendeur et cela dévalorise votre image"…
Du coup, Nestorio Cortizone est parti refaire sa copie. Et ça a donné ceci :


Le cinéaste était content de lui : On gardait des personnages "ordinaires" comme les aime ce bon Gaillot mais on faisait à fond dans l’exotisme avec une allusion implicite aux bombardements israéliens sur Gaza. Et puis un Jésus au crâne passé au papier de verre, ça en jette ! À sa droite la Magdaléenne évidemment. À sa gauche St Jean est asiatique, et Simon-Pierre itou et obèse… On ne pense pas assez aux asiatiques et à l’ouverture sur le bouddhisme. Allusion implicite au faux internationalisme laborieux du christianisme qui fait peanuts de part de marché en Asie… Le clou : en bout de table Judas est une femme…
Ouais… La Morandais fait la moue et marmonne qu’on croirait un pique-nique à Guadalcanal après la victoire US dans le Pacifique. Ou alors un briefing de tueurs en charge de se faire la peau de James Bond. Gaillot a l’air surpris et Terras s’en fout.
Le baveux commence à se lasser… Il rebondit toutefois sur la remarque de La Morandais (faut bien qu’il exprime une idée nouvelle pour justifier ses honoraires) : "Intéressant de pointer le côté GI’, d’où Irak, Afghanistan… Penser à la commercialisation aux USA. Mais c’est trop ciblé. Peut-être faudrait-il vous orienter vers quelque chose dans laquelle se reconnaîtrait toute la jeunesse solvable et mondialisée des pays de l’OCDE…"
Du coup, Nestorio Cortizone est parti refaire sa copie. Et ça a donné ceci :


Le cinéaste était content de lui : La Cène téléportée dans l’open-space…
Ouais… La Morandais fait la moue, Gaillot relève que les masses laborieuses sont absentes et Terras somnole…
Le baveux n’est pas là. Il a envoyé son assistante… Un peu surpris mais pas si déçu que ça, le gros Cortizone lui a fait une courbette assez ridicule avec baisemain suranné. La Morandais a gratifié la demoiselle d’une franche poignée de main en évitant de plonger les yeux dans son corsage échancré. Le bon Gaillot s’est fendu de son sourire béat et récurrent avec juste un peu plus d’humidité que d’habitude dans les deux sous-tasses à café en porcelaine blanche de Limoges qui lui servent d’yeux. Terras a soulevé un sourcil et émis un grognement…
La gamine, on la lui faisait pas… Pas le genre à végéter dans les permanences de l’assistance judiciaire. Caricature fort bien carrossée de la working-girl haut de gamme. Sciences Po, un DEA, deux DESS, CAPA, stages chez les plus grands, déjà spécialiste de l’action en indemnisation dans les procès d’atteinte à la dignité de la personne. Une tueuse…
Ce fut la douche froide dès qu’elle ouvrit la bouche devant les quatre vieux schnocks : "- Mais ça ne va pas du tout ! Je vois déjà dans vos diverses propositions environ quatre vingt onze opportunités de vous attaquer au pénal avec la quasi-certitude d’obtenir des dommages et intérêts à cinq chiffres pour au moins cent dix huit associations admises à se porter partie-civile ! Où sont les minorités visibles ? Où est le respect des quotas ?"
Tout penaud, Cortizone lui demande alors humblement de lui suggérer une liste de "minorités visibles" incontournables au titre des quotas. La fille a ça dans son attaché-case ; elle sort une liasse d’une quinzaine de feuillets A4 police 12 sans alinéas qu’elle lui fourre sur les bras. Demerden sie sich...
La queue entre les jambes, Nestorio Cortizone est parti refaire sa copie…

Là, ça devenait plus compliqué. Nestorio Cortizone avait toujours travaillé dans la totale liberté de création, cette prétention hors sol, cette bouffonnerie ridicule qui a ouvert l’accès au statut d’artiste à tant de besogneux. Comme si Michel-Ange n’avait pas dû se coltiner avec les contraintes de l’architecture, de la nature des matériaux et des exigences de ses commanditaires… Prétention cependant fort utile à beaucoup et sans laquelle le bedonnant Nestorio n’en serais pas là où il en est…
Pour échapper à la contrainte des quotas, le grand Cortizone crut trouver la solution : Faire de la Cène une œuvre engagée entièrement consacrée à la défense, illustration et promotion d’UNE de ces minorités visibles injustement discriminées. Les autres auraient mauvaise conscience à le lui reprocher. Et derrière ça germait chez lui l’idée astucieuse de multiplier ensuite les versions (et les droits d’auteur qui vont avec…) pour répondre aux besoins de visibilité et de reconnaissance de chacune des minorités discriminées bénéficiant d’une ligne sur le listing de la fille. Il y avait derrière ça la perspective d’au moins deux bonnes années de plan de charge assuré…

Se succédèrent alors un certain nombre de bouts d’essai visant chacun à faire l’éloge d’une "communauté" particulière mais sans autre résultat que de finir généralement à la corbeille( il arrivait toutefois que l’un d’eux puisse couvrir un peu ses frais en étant soldé à une agence de pub) Ci-dessous à titre d’exemple, de gauche à droite et de haut en bas (des fois que vous auriez des doutes…) : Les "Femmes", les "Homos", les "Trav.Trans", les "Blacks" et les "Trisomiques"…

Il y eut comme cela 27 projets successifs, certes souvent applaudis par le bon Mgr Gaillot mais toujours retoqués par la baveuse en furie. Cette dernière ne laissait rien passer et commençait même à s’énerver sérieusement alors qu’en dépit de son jeune âge le tarif horaire déjà pharaonique de ses prestations aurait pu lui permettre de la jouer plus cool (la conscience pro, que voulez-vous…) Souhaitant en finir au plus vite afin de passer à des clients à plus gros potentiel pour son avenir que ce vieux schnock de Cortizone, elle aurait voulu être présente sur le plateau afin de gagner du temps et de pouvoir arrêter net chaque projet dès le premier indice de risque. Mais Nestorio s’y était opposé, craignant trop de se voir distrait et perturbé dans sa créativité par le sex-appeal de cette espèce de serial-killer vouée au massacre à la tronçonneuse des futurs chefs d’œuvre du 7° art…
Chaque fois qu’il revenait en salle de réunion avec son dernier projet remanié, lui, Nestorio Cortizone, respectueusement accueilli et entouré de femelles gloussantes dans tous les cocktails qui comptent à Paris, n’était plus le même. Lui donc, poussait la porte en tremblant, sa nuque boudinée perlée de sueur, comme un collégien timide convoqué chez le proviseur en vue d’une punition méritée… Ce n’était pas le "comité scientifique" son problème, d’autant que l’encéphalogramme du dit comité s’aplatissait chaque fois un peu plus. Non, LE problème, c’était ELLE… Installée au bout le plus confortable de la table de conférence, elle avait notamment à portée de main trois bouquins rouges épais comme des annuaires, un PC portable où défilaient les derniers arrêts de jurisprudence, un blackberry, deux téléphones mobiles dont l’un sonnait en moyenne toutes les quatre minutes trente secondes et peut-être autre chose que j’oublie. Comme toujours, elle avait tombé sa veste de tailleur gris acier de chez Gucci et défait un bouton de plus de son chemisier, avant-scène au balcon. La chaleur et la réverbération des néons de cette pièce sans âme l’indisposant sans doute, comme chaque fois le rimmel avait un peu coulé et elle avait chaussé d’énormes hublots de soleil à la Jacques Dutronc. On n’a jamais pu déterminer si elle portait des lentilles de contact… En tout état de cause, comme chaque fois, elle écrasait sa dix-septième Malboro dans le cendrier et le couperet tombait : Nestorio Cortizone repartait pour refaire sa copie…

Vint le jour où Nestorio faillit craquer. C’était une veille de week-end et l’ukase récurrent de la killeuse venait de tomber. Sortant de là totalement dégoûté, plutôt que de se mettre à la révision de sa copie tel Sisyphe avec son caillou, il tendit le dossier à son assistant en lui disant "- Tiens, Fabio, tu me griffonnes pour demain un brouillon de projet, va !" Fabio en resta d’autant plus bouche-bée qu’il n’avait aucune compétence en la matière. Cortizone ne l’avait pas embauché pour çà (mais peut-être un peu pour son anatomie) Son job tenant du garçon de course et… plus si affinité. C’était bien la preuve que Nestorio n’était jamais tombé aussi bas…
Voyant là une opportunité pour entrer dans la carrière, Fabio se mit au travail. Nestorio, lui, rentra se mettre au lit, seul, avec deux bouteilles neuves de Highland Park 12 ans d’âge à défaut d’Alka-Selzer pour ne se réveiller que le dimanche soir.

Le lundi matin, Fabio était content de lui. Ne disposant ni de figurants ni de studio durant le week-end, il avait fait un joli dessin pour présenter son projet. Regrettant toujours l’abandon du projet initial de table de jeu qu’il estimait génial il l’avait transformé, la convivialité présumée du jeu de hasard faisant place à la convivialité par la musique. Evidemment, il avait aussi prévu une diversité ethno-culturelle lui semblant respecter les quotas.

Ouais… Encore mal réveillé avec un mal de crâne épouvantable et un foie en parpaing, Nestorio Cortizone fut horriblement vexé de se découvrir un quasi-rival, serpent nourri dans son sein. Et il y avait de quoi !
Curieusement l’encéphalogramme du comité était sorti de son engourdissement. Avec les tournures propres à chacun, les trois guignols ne tarissaient pas d’éloge sur le projet de Fabio. Le pire, vexation suprême pour le réalisateur et maître, la baveuse, killeuse (et même pas fuckeuse pour se rattraper) y trouvait beaucoup de choses intéressantes, "le tout étant dans l’ensemble positif" Jamais Nestorio ne s’était senti autant humilié !
Heureusement pour son ego, la baveuse a quand-même très vite ajouté des MAIS rédhibitoires :
Les handicapés semblaient absents, les femmes trop minoritaires, les Asiatiques à peine suggérés par un gus plutôt véhément, voire hargneux, pas de burqa, pas de kippa, les minorités sexuelles non explicitement visibles, les "souches arabo-méditerranéennes" réduites à un spectateur totalement passif et, le pire du pire, choix inique et inacceptable, les "souches afro-équatoriennes" reléguées, et surtout regroupées, en bout de table, suggéraient implicitement un soupçon de communautarisme inadéquat pour le vivre ensemble… Bien sûr, la présence accessoire d’un animal était bien vue pour suggérer le respect de la nature et la fraternité-fusion des espèces vivantes. Mais ça ne suffit pas. Et encore heureux que ce ne soit pas un cochon !

Bref, Nestorio Cortizone a pu reprendre la main. Aiguillonnée par la concurrence de Fabio, il a pu cette fois-ci donner toute la mesure de son talent :

Et là, Nestorio Cortizone a vraiment pu être content de lui. Les trois guignols intermittents du spectacle médiatique et la baveuse soi-même ont bruyamment manifesté leur pleine approbation.
Les téléspectateurs français (au moins) allaient s’y retrouver : Décor illustration parfaite de la "salle de séjour" d’un trois pièces HLM dans le 9-3, quotas ethno-culturels respectés et même majorés par un petit coup de pouce très convenable de discrimination positive. Sans omettre la présence féminine d’une givrée au look scandinave attirée en ces lieux par une addiction manifeste aux braguettes afro-équatoriennes… Bref, tout le monde était bien content…

Le coup bas vint de là où on ne l’attendait pas : D’une petite voix fluette, Mgr François Gaillot, évêque in partibus de Parténia fit remarquer que le Petit-Jésus au centre du dispositif faisait un peu tache… Pas assez sémite et trop caucasien sans doute. Trop obsolète et sulpicien, sûrement… Du coup, l’incontournable baveuse suggéra qu’il suffisait de changer d’acteur, qu’on en trouverait sûrement un plus coloré pour moins cher…

Cortizone se foutait éperdument de ce détail et fit illico le nécessaire, ce qui donna ceci :

L’affaire était dans le sac et Cortizone, accompagné de la baveuse qui comptait ses heures, se rendit illico chez Arte pour régler les détails du contrat.
Il n’avait pas prévu un truc. Veillant scrupuleusement à ne pas chiffonner le CSA, la direction d’Arte était attentive à maintenir une égalité parfaite de temps d’antenne entre Musulmans, Juifs, Catholiques, Protestants, Orthodoxes, Bouddhistes, Satanistes, etc. Tout d’abord, le temps de diffusion de son téléfilm allait forcément devoir être comptabilisé sur les trois principales confessions chrétiennes suivant une clef de répartition acceptée par chacune, ce qui n’était pas gagné. Ensuite, et c’était plus grave, cela allait devoir s’accompagner d’une augmentation corrélative du temps consacré aux autres confessions. Ce n’était pas ça le problème, c’était même heureux s’agissant de l’Islam. Non, le problème tenait à l’augmentation globale du temps dédié aux thèmes religieux et Arte ne voulait pas non plus recevoir de récriminations émanant du Comité National d’Action Laïque…
Bref, le téléfilm passa illico à la trappe…

J’ai entendu dire qu’après avoir vendu son hôtel de Neuilly pour payer les services de son baveux à l’assistante si efficace, Nestorio Cortizone était parti en Suisse prendre pension dans une clinique spécialisée dans "le repos et la remise en forme pour décideurs surmenés" Aux dernières nouvelles il y serait encore…

Fabio n’est pas allé lui rendre visite… Il avait trop à faire…

Le jeune homme, en effet, a récupéré tous les rushs du patron pour chercher LA solution, celle qui conviendrait non pas à tout le monde mais à TOUT le Monde… Et il a trouvé.
Dans la doc. réunie par Nestorio sur la "légende" à l’origine du fameux tableau de Vinci, il avait trouvé un bout de citation d’un certain Paul ( ?) : "Il n’y a plus ni homme, ni femme, ni juifs ni grecs mais…" (le reste s’était perdu) Tournant ça dans tous les sens, Fabio en a conclu qu’il fallait éliminer toutes les différences de nature à contrarier la baveuse. Comment faire ? Simple ! Il suffisait de supprimer les hommes (et les femmes, etc.) du projet. Mais les remplacer par quoi ? Simple ! Et ça a donné ceci :

Aucune chaîne (ni les généralistes ni les spécialisées abscons) n’en ont voulu. Mais il a réussi à fourguer le concept à une agence de pub oeuvrant pour Apple. La compagnie californienne trouva l’idée si intéressante qu’elle embaucha Fabio.

Travaillant désormais sur les projets de son nouvel employeur, le jeune homosexuel a eu la révélation de l’Essentiel : tout est à disposition à portée de clic et d’écran tactile. Puisqu’on peut tout trouver, tout avoir, tout être, instantanément en claquant des doigts au gré des envies-pulsions du moment, pourquoi s’encombrer du poids permanent d’une identité, d’une spécificité propre ? Il a viré bi-trans-truc-rien, phase préliminaire.
Il est heureux, incarnation du gender au sperme sans semence…

FIN

1 commentaire:

  1. Très très amusant!! Mais je demeure traumatisée par toutes ces "Cènes"!^^

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