J’ai souvent évoqué la justice belge (ici et là…) pour sa rigueur dans la scrupuleuse application de la loi. Il faut quand même que je parle aussi un peu de la justice française. Pas sur le plan de l’application à la lettre (donc bornée…) des textes, domaine où elle n’a rien à envier à sa voisine belge. Non, mais sur sa manière d’envisager la nature et l’étendue des préjudices légitimement indemnisable… Certes, on avait déjà assisté à l’apparition de la notion de préjudice potentiel via le préjudice d’angoisse. Mais je découvre aujourd’hui un autre jugement que je m’empresse de porter à votre connaissance* :
Le 7 avril 2010, le CHU de Nantes a été condamné par le tribunal administratif pour n’avoir pas détecté avant la naissance le handicap d’un enfant porteur de trisomie 21, né en janvier 1994. Après des examens qui laissaient présager une anomalie, de nouveaux examens s’étaient révélés plus rassurants : "les médecins du CHU ne firent pas part de leurs interrogations à leur patiente, et ne lui proposèrent pas de réaliser une amniocentèse". Cette décision "a privé" la mère de recourir éventuellement à une interruption de grossesse et engage la responsabilité de l’hôpital a tranché le tribunal administratif de Nantes qui "l’a condamné à verser, tous préjudices confondus, près de 51 000 € aux parents et à leur autre fils".
L’hôpital s’est vu également condamné à "verser une rente de 60 € par nuit passée par leur fils handicapé au domicile familial depuis le jour de sa naissance et tout au long de sa vie". (faites le compte…)
Ce n’est pas tout : L’hôpital doit également verser la somme de 106 000 € environ à la Caisse des dépôts et consignations, qui gère la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales au motif que la mère a "dû prendre une retraite anticipée pour s’occuper de son fils".
Soit. C’est imparable. Le préjudice n’est pas là potentiel mais avéré, identifié et subi (pour son évaluation chiffrée, laissons ça aux experts) Dont acte.
Au demeurant, l’indemnisation de la Caisse de Retraite me pose question. La conjonction du principe de précaution (d’ailleurs souvent dévoyé par confusion avec la prévention…), de la notion de risque zéro, des droits à…, de la conviction qu’il y a en toutes circonstances un responsable, des contrats d’assurance upgradés en contrats d’assistance, etc. me semble repousser no limit l’étendue des préjudices indemnisables.
Pour le moins, l’Etat n’est-il pas en droit de réclamer la compensation de son manque à gagner fiscal du fait que la famille aura un quotient familial plus élevé du fait du handicap ? Et la Commune qui va devoir investir pour répondre au droit opposable d’accueil d’un handicapé de plus en milieu scolaire ?
Et la Région qui va devoir compenser l’octroi d’une carte de réduction supplémentaire sur les transports collectifs ? Et, soyons fous (tant que ça ?) Le Tour-opérateur ne peut-il pas produire son préjudice vu que la famille n’envisagera plus pour longtemps de partir en vacances aux Seychelles ?
Et vous et moi qui passerons plus de temps (c’est de l’argent…) à divers guichets ou caisses du fait d’un usager prioritaire de plus dans la file d’attente ?
*Source : http://www.genethique.org/revues/revues/2010/Avril/20100415.1.asp
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