Le 8 décembre, la flemme et mes coronaires aidant, je ne monte plus à Fourvière avec la procession. Mais je me force à aller faire un tour en ville le soir après la messe. Pénible navigation, disons-le, parmi la foule débile que les autocaristes déversent dans ce barnum pour la plus grande joie des commerçants, tour-opérateurs, vendeurs à la sauvette et autres pickpockets.
Pourquoi m’imposer ce pensum, me direz-vous ? Certes, certains des sons & lumières offerts certaines années se révèlent parfois être des performances techniques, voire artistiques, qui méritent un détour. Mais est-ce suffisant pour se farcir d’épuisantes traversées de forêts compactes d’imbéciles sans le secours de la machette ? Non.
Mais voilà. Avant d’aller à la messe, j’allume en me brûlant les doigts chacun des lumignons qui garnissent en batterie mes fenêtres de façade. Et en sortant de chez moi, déjà bousculé par la foule, je prends le temps de me retourner et de lever les yeux pour vérifier l’alignement serré des petites flammes, souffle fragile, en espérant que le vent restera compréhensif encore quelques heures. Et si je fais ensuite un tour en ville, c’est plus pour les bords de fenêtres que pour les installations du cirque. Un besoin de me convaincre que je ne suis pas seul ; pas encore…
Lumières de la ville.
Vieux d’à peine 160 ans, le rite annuel des petits lumignons sur les fenêtres se pratique encore malgré modernoeud, malgré tout. Ce rituel à date fixe est quand même un peu une corvée mais c’est un geste libre auquel n’oblige plus aucune contrainte sociale. C’est un geste individuel de chacun mais ce n’est pas un geste individualiste. C’est un geste librement consenti de participation à une tradition, d’appartenance à une communauté, même si pour beaucoup le sens en est perdu, même si ce geste n’exprime que l’adhésion à un folklore. Ben oui, comme son nom l’indique, le folklore est quelque part l’histoire d’un peuple…
Illuminer ses fenêtres, c’est participer à la vie collective d’une communauté qui est la mienne ou à laquelle j’ai adhéré, à laquelle je me sens relié. Et si le sens vrai de la fête me parle par surcroît, tant mieux pour moi, tant mieux pour les miens et peut-être pour les autres…
Il y a beaucoup de fenêtres éteintes aujourd’hui, comme borgnes, comme aveugles, comme mortes…
Il y en a quand même aussi encore beaucoup d’autres qui sont vivantes, qui ne doivent rien à la robotique électrique, qui osent leur petite flamme fragile et précaire au risque du grand air, au risque de la Vie, en fumant leur gaz de combustion de stéarine et de paraffine (et si ça emmerde Efa Choly, c’est tant mieux…)
Petites lumières de la ville en réponse, en louange, à la vraie lumière, lumière sur la ville de Marie protectrice…Lumières dans la ville.
Et puis il y a la "fête"… La fête des Lumières. Peu de rapport, semble-t-il, avec les Lumières que le monde nous envie. Plutôt une résurgence inconsciente sous une forme post-moderne ou néo-primitive d’un culte païen autrefois rendu au Dieu Soleil et qui nous revient dégradé en vénération de l’éclairage…
A l’instar des solennités chrétiennes qui ont su détourner l’habitus saisonnier et autres solstices des barbares fraîchement convertis, les nouveaux barbares font de même aujourd’hui. Les petites lumières de la dévotion populaire qui ne se comprend plus se sont donc recyclées en fête des lumières génériques du temps présent sans souci d’avenir ; effet d’aubaine garanti !
Cette évolution astucieusement marchandisée de ce temps fort est d’ailleurs assez emblématique de l’évolution sociétale observée depuis la vulgarisation et la systématisation à faible (?) coût de l’éclairage public et privé.
Il suffit de repenser à ces films en noir et blanc du milieu du siècle dernier avec leurs flaques d’eau sur le pavé où se reflète chichement la lueur de réverbères plantés de loin en loin et de guingois pour réaliser à quel point il fait maintenant jour la nuit… Les modes de vie ont suivi : Les terrasses de café saturées jusqu’à point d’heure, les cinoches ont des séances qui débutent à minuit, les nuits blanches, etc. Et le matin, rien n’ouvre avant dix heures (ici les magasins du Vieux Campeur n’ouvrent même qu’à onze heures !)… La fête des lumières se coule donc tout naturellement dans les draps de ce décalage horaire que ne connaissent pas les poules.
Et le festif y trouve son compte. Le festif et aussi le créatif en général et subventionné en particulier…
Bien entendu, le business est managé et coordonné par les édiles en charge de l’événementiel. C’est un événement (mais pas un "événement de crédit") bien que ce soit un non-événement comme un "heureux événement" puisque sa date et son contenu sont précisément connus, mais bon… Et de nos jours, qui dit événement et créatif dit forcément aussi installations, performances ; enfin, vous voyez…
En plus, il y a un programme de 32 pages en couleur largement diffusé aux quatre millions de chalands attendus. Il décrit par le menu les soixante-dix sous-événements officiels sans compter les animations périphériques…
Les mots les plus fréquemment utilisés dans la brochure sont, par ordre décroissant : ludique, led, onirique, interactif et festif.
Ainsi, au détour des places et des parvis, on sait qu’on pourra rencontrer une installation plastique contemplative ou des morceaux d’intestin grêle verdâtres et luminescents de 20 mètres de haut qualifiés d’algues au balancement naturel et hypnotique… On profitera ça et là d’une transe nocturne ou d’un flipper extra-large pour toucher l’extra-balle, d’un envol immobile de papiers ou de poissons dans une voiture XXL… Là, rétro-éclairées par des centaines de leds, il y aura 3 000 fleurs en bouteilles de plastique usagées. Elles émettent un langage universel de paix qui sensibilise sur la préservation de l’environnement à travers l’art [ça nous vient de Singapour…] Ailleurs, ce sera une superbe installation, symbole d’une Europe proche des citoyens, innovante, solidaire et moteur d’un développement économique durable : Le public y déambule, les pieds dans l’eau virtuelle et la tête dans les étoiles du drapeau européen…
Enfin, à l’orée d’une nouvelle destinée, un ancien hôpital s’éclaire et pulse lentement sur un rythme organique à l’instar d’un voyant d’ordinateur (…) sensible aux différents marqueurs socio-économiques influant sur la vie des habitants (…) telle une veilleuse de Lyon. Chacun peut se connecter à ce City Pulse sur Internet et rester en phase avec le sommeil de sa ville.
Où est la Lumière ? Ces installations ne sont que des réverbères qui distribuent à l’acuraba maintenu sous perfusion de divertissement une dose exceptionnelle (c’est jour de fête) de coupe-faim virtuel aux excipients plus cosmétiqués que d’habitude…
Cette évocation des films des années quarante/cinquante me refile un petit coup de nostalgie. C'était beau les réverbères qui se
RépondreSupprimerreflétaient miteusement dans les flaques.
Les petites bougies vacillantes sur les rebords de fenêtres aussi, c'est bien de garder la tradition. Pourvu que ça dure...
Au temps où il était lyonnais, je crois que Fromageplus avait consacré quelques billets au détournement de cette fête. Faudrait exhumer ça... Pour ma part, je me suis fendu d'un petit billet marial.
RépondreSupprimerMat - Je saisis l'occasion de votre passage ici pour saluer votre travail à nous faire connaître la "matière de France"
RépondreSupprimerIl a été précisé au JT qu'évidemment, on avait viré tout ce qui était signe religieux.
RépondreSupprimerEvidemment !