Voilà
que s’achève le double octave qui suit la "Pâques de l’été" comme les
anciens d’ici appelaient la fête de l’Assomption.
A
défaut de consécration canonique, ce "temps liturgique" du temporal
ploukèmien est commandé par des considérations essentiellement profanes et sans
lien avec les cycles de la lune ou les fatwas d’al-Ahzar. Chez moi, la "Pâques
de l’été" correspond grosso et modo
au sommet d’une espèce de cloche de Gauss sur un graphique où les jours du
calendrier sont portés en x et l’effectif de rationnaires présents en y…
Cette
période sommitale de la vie clanique ploukèmienne a débuté cette année le 9
août pour s’achever le 15 avec les premiers départs de pèlerins retournant
progressivement à leurs apostolats respectifs…
Dix-huit
couverts donc lors des célébrations du culte quotidien, seize directo sur la
table et deux sur chaises hautes, le dix-neuvième convive, allaité, étant
exonéré et autorisé à mettre ses coudes où il voulait. Un(e) vingtième futé(e)
émargeait aussi nouvellement autour de la table mais fort discrètement, étant
encore en gestation…
Cette
année encore, tous les grands rituels de cette Semaine Saine ont été respectés.
Cébien. Faut c’qui faut : Quand
tous les morts-vivants s’agitent autour de nous en ne sachant plus ce qu’ils
sont ni ce qu’ils veulent être dans leur rêve métissé d’un éternel futur ;
quand le Petit Chose Normal se tord
les doigts de perplexité en disant ben,
euh… ; quand, à la question-marronnier-classique "Quelle est la personnalité préférée des… ?"
le Schleuh répond Angela et le Fwançais Yannick Noah… faut s’accrocher à des
branches solides ! Et comment mieux incarner
les fondamentaux qu’en les vivant ?
Et en les rendant visibles par la
coutume ? En en vivant les rites
dans la joie, pas en les singeant…
Cette
année, les hasards du calendrier faisaient tomber le même jour – un dimanche - plusieurs
grands moments rituels :
D’abord les roses du jardin au cimetière,
tous réunis autour du caveau en cette date, mémorial à la fois de tristesse et
d’Espérance, du jour où la Mama a changé sa manière de veiller sur les siens.
Puis, dans la foulée, ce fut la Messe
dominicale dans l’église du village. On ne retiendra pas l’absence de notre
curé parti pour x jours avec les jeunes de la "paroisse" faire par
les cols et sentiers de grande randonnée le tour de ses… huit clochers sur
trois vallées… Ni d’avoir dû se farcir à la place l’homélie du vieux vautour
auxiliaire, relativiste et philomuzz… On retiendra malgré tout que c’était la
messe du jour de la kermesse paroissiale ! Et donc qu’il a fallu aussi,
comme chaque année, se farcir les cors des Alpes dans le chœur en alternance
avec la chorale et la grande qualité de l’organiste de seize ans…
Un mot sur le cor des Alpes. Je crois que
j’ai fini par comprendre à quoi ça sert : C’est un appeau pour attraper
les Suisses ! Et encore… Ça ne marche probablement qu’avec les germanophones
vieux-catholiques célibataires exploitant des cheptels de moins de huit vaches
estivant à plus de 1.500 mètres d’altitude dans le seul canton d’Uri…
Ensuite, à la sortie de l’office, il y a eu
sur le parvis l’aubade donné par la fanfare municipale de grande qualité et les
guincheries cadencées du groupe folklorique dont les danseurs affichent chaque
année des faces de plus en plus rubicondes et toujours aussi réjouies. On a
beau être plus méridionaux, comme le chantait Brel : "Quand on a
septante ans, il est bon de montrer qu’on a toujours bon pied et bon blé dans
le pré…"
On les suivit jusqu’à la place où les
solides mécréants avaient déjà investi les meilleurs places à la buvette. Les
mômes, eux, investirent rapidement les autres stands. Entre deux causettes, le
Plouc-em’ se contenta de faire un carton au tir avant d’être distrait par l’arrivée
du charroi des conscrits…
Un mot sur leur équipage. Je les avais
oublié ceux-là lorsque la veille au soir, vers 23 heures et par nuit noire, ils
étaient passés par la route près de chez moi. J’avais alors été surpris,
sincèrement persuadé qu’il s’agissait d’un convoi de vaches laitières descendant
prématurément des alpages… Le dit équipage est constitué d’un tracteur tirant
une remorque. Ladite remorque-plateau est agencée à l’aide de planches de bois
brut comme un solide wagon ou autobus dont les flancs et le toit sont abondamment
garnis de déco que je ne saurais décrire. Au plafond est suspendue toute une
collection de sonnailles et clarines de belles tailles qui expliquent ma
confusion de la nuit précédente. Mais l’équipement le plus important n’est sans
doute pas le carillon, ni les casiers de canettes alignés sous le banc ;
ce sont plutôt, aux quatre coins de la remorque, les quatre supports comme on
en trouve dans les bars, qui permettent d’avoir sous la main, renversées avec
bouchon doseur en service continu, quatre grosses bonbonnes de whisky… On sait
vivre…
Et puis il y a le principal, c’est-à-dire les
occupants du bahut. Si tous ont, en principe, à peu près vingt ans, leurs
couvre-chefs ont tous passé l’âge. Peu importent les écussons et pin’s variés
dont ils les affublent, ces tartes alpines de drap noir parfois bouffées aux
mites leur ont été cédées par leurs grands frères, leurs pères ou leur
grands-pères, longtemps portés à l’estive ou sous la pluie sur les chantiers, peut-être
parfois rescapés du 11° ou du 22° BCA…
Tous
le portent. Tous et… toutes ! Car cette année, il y avait deux filles dans
la bande !
Des
gonzesses sur le char à banc ! Des filles avec le grand béret et la
canette de bière à la main !
P’tain !
Tout fout le camp ! Rome n’est plus dans Rome. Si ça continue, on va se
croire dans le Marais, ou à Palavas, ou à Saint-Trop’, ou dans le Neuf-trois,
vu qu’à terme toussa c’est pareil…
Bref, nous avons ensuite repris 200 mètres d’altitudes
pour revenir sur nos terres banqueter ferme en famille. Je me suis seulement
éclipsé le soir pour aller dîner au village comme d’hab’…
Pourquoi je vous raconte tout ça, moi ? Peut-être pour garder une
trace de bons souvenirs, histoire de me donner du courage dans la perspective
de ce qui nous attend en cette "rentrée", la Fwance et nous avec…
Peut-être aussi pour vous aider à ne pas
oublier qu’il reste encore des coins de France et des raisons d’espérer…
Merci !
RépondreSupprimerJ'aime ce beau récit qui donnent les bons coins de France et les raisons d'espérer!
RépondreSupprimerMerci pour ce beau récit. Exilé en Asie depuis une décade et originaire d'un beau département(l'Ariège),j'ai un réel plaisir à vous lire.
RépondreSupprimerMerci pour ce récit !
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