Le
rideau est tombé sur le énième acte de la tragédie que l’on joue en ce moment.
C’est l’entracte. Entracte ? En fait il n’y en a pas. C’est moi qui l’ai
décidé et qui ai fait tomber le rideau. Pour la durée d’un entracte ; rien
que pour moi…
Comme
on fait dans ces cas-là, je me suis déplissé
et extrait laborieusement de mon clavier fauteuil d’orchestre pour aller
me dégourdir les jambes ailleurs. A
l’Opéra, on descend au foyer ;
avec souvent un détour aux toilettes,
pour se vider et s’en laver les mains… En d’autres lieux, on fait pareil en faisant
un tour dans le hall, l’atrium, bref dans les espaces de ce genre. Autrefois,
on appelait souvent ces lieux la salle
des pas perdus. C’était curieusement le cas dans les gares où aujourd’hui
les gens n’ont jamais l’air de faire des pas sans finalité immédiate apparente (sauf les biffins de Vigipirate et,
peut-être, les tueurs suicidaires…)
Pour
occuper l’entracte, donc, rien de mieux que de charger la caisse de quelques
fins de frigo, pull, brosse à dents et de quitter la ville de grande solitude,
ses parvis de lumignons devant la mairie, son mélange de working-girls pressées
sortant des boutiques haut de gamme et de hordes de traîne-savates à capuche, toussa… Et de monter quelques jours à mon
douar d’élection…
L’après-midi
est ensoleillée. 12°C. J’ai téléphoné le matin même à ma chaudière. Elle n’a
pas fait d’histoire. Je sais qu’il me reste un fond de whisky à l’arrivée et
que je ne serai pas en rupture de vin. Que demande le peuple !
Au
fil des virages, se succèdent les séquences familières du paysage dans leurs
versions "de saison" : C’est rassurant. L’état d’urgence est
loin ; la mairie n’a pas annulé le "repas des anciens" ;
les cantonniers ont planté leurs perches pour guider le chasse-neige et
l’automne est bien avancé. En arrivant "sur mes terres", je
constate que la maison est toujours là ; que mon mercenaire ad-hoc n’a pas
encore mis ses propres perches de déneigement, je pense qu’il devrait se
dépêcher ; que l’autre mercenaire repousse à plus tard l’enlèvement du
tapis de feuilles mortes, c’est chaque année le pari du
plus-tard-possible ; la boîte aux lettre libère son lot de prospectus et
de demandes de dons… Bref, tout va bien.
Comme
à mon habitude, la voiture à peine rentrée au garage et pas encore déchargée,
je vais faire un "tour du propriétaire" extérieur avant même d’entrer
dans la maison.
"-
Salut les filles !" que je leur dis avec un petit geste amical de la
main. Car, surprise, elles étaient là. Mes voisines occasionnelles, juste
au-dessous de la clôture mitoyenne dans le champ de la mère P. Dans un
mouvement d’ensemble parfaitement coordonné, elles ont toutes tourné la tête
vers moi et m’ont fait un petit signe, l’œil bovin. Elles sont neuf, des
génisses pensionnaires à Léon. Des filles sur lesquelles il espère faire la
culbute (financière,
hein !) dès qu’elles
seront "nubilement rentables"… Ce sont des Abondance, des laitières.
Elles au moins ont la chance de ne pas se vexer et n’éprouvent pas le besoin de
porter plainte lorsqu’on les désigne par leur race… J’adore le regard à la fois éteint et interrogateur de leurs
yeux finement cerclés de paupières d’un rose indien. Surtout qu’à leur âge,
elles n’ont pas encore dû chausser leurs lunettes à la Marcel Achard qui permettent
aisément de ne pas les confondre avec les vieilles dames de Faizant…
Bien
sûr, hormis le fond sonore des cloches, la présence occasionnelle de ces
demoiselles ne met pas d’ordinaire une folle animation sur zone. Ce n’est pas
comme quand des brebis pleines de G. mettent bas dans la prairie d’à côté. Là,
quand la mère lèche le petit titubant qui commence déjà à chercher où c’est
qu’on tète, la mère ayant encore entre les cuisses le cordon ombilical qu’elle
traîne dans l’herbe pour se défaire du placenta, il y a vraiment du spectacle
éducatif pour la progéniture de ma progéniture. Un programme d’ouverture
d’esprit critique et de discernement comme jamais Najat ne leur en concoctera.
Mais je m’égare…
Pourtant,
ces demoiselles m’ont quand-même donné une fugace émotion cet après-midi. Je ne
les entendais plus et n’y prêtait pas attention quand, en levant la tête
au-dessus de la baie vitrée, j’ai vu deux 4x4 pick-up monter à tout allure à
travers les prairies, non pas l’un derrière l’autre mais en éventail…
Non,
il n’y avait pas de mec enturbanné debout sur le plateau, derrière une
mitrailleuse sur affût. Il n’y avait que les chauffeurs à leurs volants, sans
Kalachs’… Juste un pincement de cœur de surprise. La superposition d’une image
vécue dans les dunes du Fezzan ; il y a longtemps, presque dans une autre
vie…
Non,
c’était juste qu’en se moquant du fil électrique à Léon, ces demoiselles
avaient jugé nécessaire de porter leurs pas perdus ailleurs pour voir si
l’herbe y était plus belle. Ah ! Folle jeunesse !
Paraît
que la séance a repris ; oui celle de la tragédie qui est à l’affiche.
Mais pour l’instant, semble-t-il, ce ne sont que des péroraisons pour meubler. Mes
pas perdus à moi m’évitent de me perdre…
tu devrai nous faire une réunion de réacs dans ton douar, comme nous a fait Corto dans le sien, que c'était " hachement " bien.....
RépondreSupprimerdonc, tu es bien rentré , bises
vous aussi vous téléphonez à la chaudière de la maison ?
RépondreSupprimerj'ai essayé , ça a jamais marché
c'est quand même un monde , bon gu , au prix qu'ça coûte !