"Si la capacité des cons à s'auto-éliminer ne doit pas être négligée, la volonté effarante du monde moderne et de l'Etat-providence à les sauver rend vain tout espoir de sélection naturelle"

"Il y a deux aristocraties : celle du haut et celle du bas. Entre les deux, il y a nous, qui faisons la force de la France.

mardi 23 août 2011

L’art de bâcler ses guerres…

Ceux qui décident de faire la guerre à moitié l’ont perdue dès le départ et complètement.


[tribune de Georges-Henri Bricet des Vallons publiée par Valeurs Actuelles le 18 août]


Avant de savoir finir une guerre, il faut savoir la commencer. On ne sait ce qu’il y a de plus accablant dans l’annonce de notre retrait d’Afghanistan, le mois dernier : notre mimétisme vis-à-vis des Américains ou, ce qui va de pair, l’inconsistance totale du politique dans la conduite de la guerre ? Tout au long de ces dix années de conflit, l’Élysée n’aura été que de demi-mesure en demie-mesure. Ceux qui décident de faire la guerre à moitié l’ont perdue dès le départ et complètement. Voilà la leçon. Elle est définitive et implacable.


La suite de notre retrait d’Afghanistan, achevé en 2014 ? On la connaît. Les écoles pour femmes fermeront. La burqa reprendra pleinement ses droits à Kaboul. Musique et cinéma seront à nouveau bannis.

Voilà pour l’argument, pour l’affichage télégénique. La corruption endémique des forces afghanes n’en fait qu’une armée mexicaine au service d’une féodalité décrépite, qui sera incapable de freiner sa dislocation ethnique et tribale après le retrait des troupes occidentales, enfin disons françaises, puisque les Américains, pas assez sots pour laisser le trésor de guerre à la Chine, ne feront que réduire la voilure et resteront bien après 2014 pour exploiter les 1 000 à 3 000 milliards de dollars de gisements miniers et fossiles que recèle le sous-sol afghan. Ils se concentreront sur le pays “utile”, entendez celui qui rapporte. Comme en 1996, où l’empire s’était fort peu ému de la victoire des talibans, les États-Unis négocieront avec le nouveau gouvernement de coalition formé par les réseaux Karzaï et ceux du mollah Omar une rente suffisante pour étouffer en surface les velléités antioccidentales et garantir la sécurité du Transafghanistan Pipeline. Les logiques de baronnies reflueront, le pays se déchirera à nouveau et la routine ancestrale de la guerre civile afghane reprendra ses droits, sans pour autant représenter une menace globale. Il n’y aura, comme aujourd’hui, ni paix ni guerre véritables.


Seigneurs de guerre et talibans peuvent dire merci aux torrents de dollars que les Américains ont jetés à fonds perdus dans l’effort d’une chimérique reconstruction d’une nation jamais construite et qu’ils n’ont, d’ailleurs, jamais eu l’intention de construire : 400 millions de dollars par an auraient ainsi été brûlés au profit des rebelles, selon le Congrès américain. L’empire a acheté la paix tactique en Afghanistan comme on achète la paix sociale dans nos banlieues mais, cahin-caha, il tient le pays, grâce, il faut le dire, à l’apport de ses supplétifs européens, merveilleuse béquille prête à tout pour satisfaire un hégémon boiteux, qui traîne et endure son ahurissant budget militaire de 700 milliards de dollars comme un pied bot.

Le cynisme de la gestion américaine a au moins le mérite de servir, sinon son peuple, tout du moins sa puissance géoéconomique. Mais que dire de notre rôle à nous Français dans cette guerre ? Certes, sur le fond, cette décision est bonne : la guerre n’a jamais été menée pour servir l’intérêt de la France. Nous n’avons jamais été en Afghanistan des alliés pour les Américains, tout au plus un bien utile réservoir de main-d’œuvre destiné à faire de la tactique de détail et c’est ce que nos hommes ont fait, avec une grande témérité et un grand panache. La conclusion annoncée de “notre” guerre, l’extraordinaire gâchis d’énergie et d’argent qu’elle contresigne, n’en prend que plus aux tripes. Que vaudront nos succès tactiques en Kapisa et en Surobi, sur le temps long ? Que restera-t-il de l’action des colonels Le Nen, Heluin, Durieux ? Une Bronze Star, juste récompense due aux vassaux, remisée sur l’étagère poussiéreuse d’un musée de régiment ? Tribut de la servitude volontaire.


Enfin, au bilan de cet engagement bâclé, il faudra se souvenir du mépris, de l’extraordinaire mépris du politique et de ses calculs d’épicier : faut-il rappeler que le ministère de la Défense a attendu 2011 pour reconnaître officiellement notre engagement en Afghanistan comme une “guerre”, simplement pour ne pas avoir à payer les frais de la campagne double à nos soldats ?

Les simulacres cérémoniels ont tendance à nous faire oublier que, dans l’alcôve des ministères, le démantèlement de l’outil militaire, déjà cassé, va son train : effectifs sabrés par dizaines de milliers à la hache de la RGPP qui tient lieu à notre classe politique de seul plan stratégique, réformes menées en fonction de postulats purement technocratiques comme celle, aberrante, des bases de défense ou du système d’information financière Chorus, réduction continue du format et du contrat opérationnel des armées, abandon de nos positions en Afrique, non-respect systématique des lois de programmation budgétaire, etc. Ce débat, ce n’est pas aux hommes politiques, qui se satisfont trop bien de la marginalité des questions de défense, qu’il incombe de le porter, mais bien aux armées, à nos officiers, à nos soldats. C’est eux et eux seuls qui sont en mesure de mettre les enjeux de la défense au cœur de la campagne. Pour ce faire, et pour exorciser définitivement le fantôme de 1940, il faut qu’ils parlent : haut et fort.


Georges-Henri Bricet des Vallons


7 commentaires:

  1. Très bonne analyse mais, en démocratie, le politique est incapable et le militaire désarmé,
    pour ainsi dire. Du coup, personne en fait rien de propre et si une situation du type 1940 se
    représentait, nous ferions, cette fois-ci, encore pire.

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  2. "un hégémon boiteux, qui traîne et endure son ahurissant budget militaire de 700 milliards de dollars comme un pied bot."
    Gnnéé??
    Aujourd'hui les USA consacrent 3,8% de leur PIB à leur défense. En y ajoutant le coût des conflits en cours, 4,6%. Entre 1945 et 2000 cette part était de 5,7%. Donc 66% de plus, alors que depuis 2001 les Etats-Unis sont censés être en guerre.
    Etant donné le rôle mondial des USA et la quasi nullité des pays européens en matière de défense - aussi bien d'un point de vue matériel que moral - il me semble que l'auteur devrait plutôt s'inquiéter de ce que les USA dépensent trop peu.
    Mais bon, les Etats-Unis c'est "l'empire", juste intéressé par l'exploitation des "richesses" du sous-sol Afghan (l'auteur a omis de nous expliquer comment les Américains ont pu "jeter des torrents de dollars" à "fonds perdus" si l'Afghanistan est un tel fromage. Simple oubli je suppose).
    Air connu...

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  3. Aristide – Il y a évidemment à boire et à manger dans ce papier d’un ‘’chercheur en sciences politiques’’ relayé par humeur. Ceci-dit, s’agissant du poids du budget militaire, je ne suis ni compétent ni informé, mais quand je lis 5,7 % du PIB 194-2000, je lis moyenne sur 55 ans (incluant guerre froide, Corée, Viêt-Nam, etc.) contre 3,8% aujourd’hui (après accords SALT, etc.) Pourcentage, valeur relative, rapporté à un budget fédéral global dont certains postes civils ont sûrement explosés depuis les années 50, 60, 70 du siècle dernier. L’effort de défense est-il vraiment inférieur à ce qu’il était ? (a fortiori compte tenu de l’évolution de la menace et de baisse de garde côté balistique intercontinentale, ‘’guerre des étoiles’’…)
    Pour ce qui est du ‘’fromage’’ afghan, de ses ressources, notamment gazières, et de l’appétit chinois, à ce qu’il dit qui n’est pas faux s’ajoute un intérêt stratégique (comme en Iraq) dans la perspective d’un conflit à moyen terme, inévitable d’une façon ou d’une autre (on préfère d’une autre ou du moins régionalement circonscrit) : celui en vue duquel les mollahs de Téhéran ont commencé à creuser discrètement à la frontière afghane le même fossé antichar que la Grèce à la frontière turque…

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  4. Plouc'em : pour répondre rapidement à votre question (implicite) : si, si, l'effort de défense américain est historiquement bas. A fortiori si l'on prend en compte le fait que depuis 2001 les USA ont deux guerres (et deux nation-building) sur les bras.
    Par exemple, la marine de guerre américaine n'a jamais compté aussi peu de navires depuis 1916, l'armée de l'air a dû renoncer au chasseur dernière génération F-22, et vous savez que la Garde Nationale a du être mise à contribution pour faire face en Irak, etc.
    Quant aux menaces, la Chine, la Russie, l'Iran...pas besoin de vous faire un dessin.
    De toute façon il me semble qu'il y a quelque chose d'étrange dans le fait de considérer que consacrer environ 4% de son PIB a sa défense est un poids insupportable.
    La défense n'est-elle pas la principale fonction des gouvernements?
    Mais aujourd'hui, les nations les plus riches que la terre ait jamais porté (l'Occident, en gros) ont décidé qu'elles n'avaient plus les moyens d'entretenir des armées de premier plan.
    En Europe comme aux USA la cause est la même : Etat-providence.
    Ca ne nous prépare pas des lendemains qui chantent.
    Quant à la richesse de l'Afghanistan je n'y connais rien, mais étant donné le caractère de ses habitants je serais bien curieux de savoir quelle puissance étrangère serait capable d'en tirer durablement profit.
    M'est avis que même les Chinois n'y feront pas de vieux os, mais on verra bien.

    Bon, tout ça pour dire que si on ôte ce qu'il raconte sur les Etats-Unis, son article est pas mal.

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  5. Aristide,

    Des Vallons est un analyste défense réputé dans le milieu. Il donne régulièrement des conférences offensives à l'Ecole militaire. Pour l'avoir écouté, il détonne de façon réjouissante par rapport à un milieu très langue de bois. Il a notamment dirigé un ouvrage sur la contre-insurrection où sont intervenues aussi bien des colonels français qu'américains. S'il est clairement souverainiste et hostile à notre alignement sur la politique américaine, je ne crois pas qu'on puisse le taxer d'antiaméricanisme primaire.

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  6. Pour ce que j'ai lu par ailleurs, je confirmerais bien ce que nous dit "anonyme"...

    (ouais, vu qu'ici les "anonymes" sont toujours a priori suspects...)

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  7. Notez bien, cher Plouc et cher anonyme, que je n'ai pas taxé monsieur des Vallons d'antiaméricanisme primaire, pour les deux bonnes raisons 1) que je ne fais pas différence entre antiaméricanisme primaire, secondaire ou ternaire 2) que je ne connais absolument pas ce monsieur et que je me garderais donc bien de porter un jugement définitif sur lui à la lecture d'une simple tribune.
    Puisque vous m'assurez de sa qualité je vous crois bien volontiers, et j'en déduis donc que ce n'est pas là ce qu'il a écrit de mieux.
    Tout le monde peut avoir un coup de moins bien.

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