"Si la capacité des cons à s'auto-éliminer ne doit pas être négligée, la volonté effarante du monde moderne et de l'Etat-providence à les sauver rend vain tout espoir de sélection naturelle"

"Il y a deux aristocraties : celle du haut et celle du bas. Entre les deux, il y a nous, qui faisons la force de la France.

samedi 22 février 2014

Ukraïna ou Україна ?



Quelques remarques reçues "hors blog" sur ma "carte postale" d’hier m’ont rappelé une tribune libre d’Hugo Natowicz, journaliste français vivant en Russie. Publiée il y a plus de deux ans par le journal en ligne de RIA-Novosti, je l’avais alors reproduite in extenso ici. Ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine, pays entre deux chaises aux marches de deux mondes qu’infestent les métastases de la mondialisation, m’incite à en republier ci-après de très larges extraits :

« (…) Cette tension, je ne la percevais pas tant que je vivais en France et en Espagne, deux pays largement intégrés au système économique, idéologique et militaire que les Etats-Unis ont apporté dans leurs valises à l'issue de la Seconde Guerre mondiale. Un système qui englobe ce que les Russes appellent l’"Occident" : une somme de nations fondues au sein d’un même paradigme économico-politique. (…)

« Il faut franchir les frontières orientales de l’Union européenne, et aller dans les pays en transition, pour ressentir la violence latente qui accompagne l’extension du système de valeurs promu par l’Occident. La première fois que j’ai pris conscience du choc, et perçu ce qu’était la culture occidentale de l’extérieur, c’était en 2006 en Ukraine, un pays où les tensions avec la Russie avaient pris une dimension particulièrement palpable. J’étais venu pour refaire mon visa, et je fus choqué par l’omniprésence visuelle des femmes dénudées diffusées en boucle sur les écrans suspendus à l’intérieur même des rames de métro, et des publicités aguicheuses qui ponctuaient les escalators, les rues, le moindre espace libre. Pourtant aguerri, je me suis dit littéralement : "En France on n’irait quand même pas jusque-là !" Il y avait en effet dans ce déballage publicitaire quelque chose de particulièrement agressif, débridé, un peu comme si une bataille se déroulait sous mes yeux. Je me souviens aussi de la frénésie qui régnait dans les nombreux McDonalds, et de ce passant qui avait refusé de me répondre en russe. Ce fut un spectacle à la fois imperceptible et impressionnant. En France ou en Espagne pas de problème, j’étais chez moi ; en Russie, ou je vivais depuis quelques mois, je commençais à m’acclimater. Ici, je me sentais littéralement pris dans un entre-deux angoissant. Cette sensation me rappelait la jeunesse dorée de Slovénie, mettant un point d’honneur à afficher son ancrage à l'ouest par le biais d’habits de marque et de toute une série de références culturelles occidentales, comme pour se démarquer ostensiblement d’un passé communiste abhorré, pas "cool" (un mot marquant l’irruption de la mondialisation des valeurs dans le langage).

Bien sûr, les valeurs occidentales s’implantent également en Russie : MTV, fer de lance à la conquête de la jeunesse après la fin de l’URSS, reste populaire. Les McDonalds ne désemplissent pas. Pourtant, l’assimilation culturelle, économique, et politique de cette énorme masse qu’est la Russie reste superficielle et irrégulière. Militairement, Moscou continue de défendre sa zone d’influence au mépris des défis de l’Otan qui implante, doucement mais sûrement, son potentiel militaire aux portes du territoire russe. Economiquement, la Russie est certes intégrée dans l’espace mondialisé, mais elle est tenue à l’écart des grands clubs libéraux que sont l’OMC et l’OCDE. Culturellement, la Russie est un Etat attaché à un ensemble de valeurs ancestral qui n’aura bientôt plus cours en occident, schisme notamment cristallisé par l’interdiction de la « gay parade ». Politiquement, la Russie n’est pas un Etat démocratique au sens occidental, tout en ayant réussi à surmonter l’expérience totalitaire. C’est un régime hybride qui s’attire régulièrement les foudres de l’ouest.
Le commentateur de la Russie se trouve dans une situation délicate: doit-il se poser en vecteur de l’idéologie occidentale, raillant et condamnant systématiquement ce pays ? Doit-il au contraire faire preuve de compréhension envers la Russie et son évolution historique? Jusqu'où faut-il critiquer le système mis en place par les Américains, qui libérèrent tout de même l’Europe au prix du sang versé ? Cette libération justifiait-elle l'impérialisme sur lequel elle a débouché?

Force est de constater que malgré la fin de la guerre froide, les tensions sont toujours palpables. Avec toutes ses contradictions, la Russie incarne une tendance forte : la volonté de vivre en marge du carcan occidental, tout en partageant avec l'ouest un socle de valeurs communes. Une soif d'exister à sa façon, sans pour autant se cacher derrière un rideau de fer.
Cette posture historique complexe, instable, n'a pas fini d'alimenter la guerre silencieuse opposant la Russie et l'Amérique. »

Hugo Natowicz – 7 octobre 2011

2 commentaires:

  1. Il existe donc de grands journalistes merci de nous les faire rencontrer

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  2. Il me rappelle qu'après la mort de Franco, les kiosques de Barcelone s'étaient couverts de revues porno.
    La barrière entre la Russie et le reste de l'Europe est d'abord dressée par les anciens pays du Comecon qui ont payé cher pour savoir ! J'ai des amis polonais, c'est indélébile, quelle que soit la forme du gouvernement russe. C'est pourquoi, vouloir diviser l'Ukraine en zones d'influence dans une analyse m'apparaît scabreux même s'il existe des marqueurs culturels différents.
    Je lis dans la presse :
    "Plusieurs milliers de personnes ont toutefois manifesté à Kharkiv (capitale russophone du pays) en solidarité avec Maïdan. Le gouverneur de la région, Mikhaïlo Dobkine, et le maire de la ville, Hennadi Kernes, ont, eux, franchi la frontière russe."

    Ianoukovitch a en fait été arrêté par les garde-frontière de Kharkiv contre l'avis des caciques locaux ! C'est beaucoup dire pour la suite.
    La visite guidée de son "palais" sur Internet rappelle les heures les plus sombres de la Roumanie au drapeau troué ; même si la tragédie n'est pas au programme. Heureusement.

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