Quelques
remarques reçues "hors blog" sur ma "carte postale" d’hier
m’ont rappelé une tribune libre d’Hugo Natowicz, journaliste français
vivant en Russie. Publiée il y a plus de deux ans par le journal en ligne de
RIA-Novosti, je l’avais alors reproduite in extenso ici.
Ce qui se passe aujourd’hui en Ukraine, pays entre deux chaises aux marches de
deux mondes qu’infestent les métastases de la mondialisation, m’incite à en republier
ci-après de très larges extraits :
« (…) Cette tension, je ne la percevais pas tant que je vivais en France et en Espagne, deux pays largement intégrés au système économique, idéologique et militaire que les Etats-Unis ont apporté dans leurs valises à l'issue de la Seconde Guerre mondiale. Un système qui englobe ce que les Russes appellent l’"Occident" : une somme de nations fondues au sein d’un même paradigme économico-politique. (…)
« Il faut franchir les frontières orientales de l’Union européenne, et
aller dans les pays en transition, pour ressentir la violence latente qui
accompagne l’extension du système de valeurs promu par l’Occident. La première
fois que j’ai pris conscience du choc, et perçu ce qu’était la culture occidentale
de l’extérieur, c’était en 2006 en Ukraine, un pays où les tensions avec la
Russie avaient pris une dimension particulièrement palpable. J’étais venu pour
refaire mon visa, et je fus choqué par l’omniprésence visuelle des femmes
dénudées diffusées en boucle sur les écrans suspendus à l’intérieur même des
rames de métro, et des publicités aguicheuses qui ponctuaient les escalators,
les rues, le moindre espace libre. Pourtant aguerri, je me suis dit
littéralement : "En France on n’irait quand même pas jusque-là !" Il
y avait en effet dans ce déballage publicitaire quelque chose de
particulièrement agressif, débridé, un peu comme si une bataille se déroulait
sous mes yeux. Je me souviens aussi de la frénésie qui régnait dans les
nombreux McDonalds, et de ce passant qui avait refusé de me répondre en russe.
Ce fut un spectacle à la fois imperceptible et impressionnant. En France ou en
Espagne pas de problème, j’étais chez moi ; en Russie, ou je vivais depuis
quelques mois, je commençais à m’acclimater. Ici, je me sentais littéralement
pris dans un entre-deux angoissant. Cette sensation me rappelait la jeunesse
dorée de Slovénie, mettant un point d’honneur à afficher son ancrage à l'ouest
par le biais d’habits de marque et de toute une série de références culturelles
occidentales, comme pour se démarquer ostensiblement d’un passé communiste
abhorré, pas "cool" (un mot marquant l’irruption de la mondialisation
des valeurs dans le langage).
Bien sûr, les valeurs occidentales s’implantent également en Russie : MTV, fer de lance à la conquête de la jeunesse après la fin de l’URSS, reste populaire. Les McDonalds ne désemplissent pas. Pourtant, l’assimilation culturelle, économique, et politique de cette énorme masse qu’est la Russie reste superficielle et irrégulière. Militairement, Moscou continue de défendre sa zone d’influence au mépris des défis de l’Otan qui implante, doucement mais sûrement, son potentiel militaire aux portes du territoire russe. Economiquement, la Russie est certes intégrée dans l’espace mondialisé, mais elle est tenue à l’écart des grands clubs libéraux que sont l’OMC et l’OCDE. Culturellement, la Russie est un Etat attaché à un ensemble de valeurs ancestral qui n’aura bientôt plus cours en occident, schisme notamment cristallisé par l’interdiction de la « gay parade ». Politiquement, la Russie n’est pas un Etat démocratique au sens occidental, tout en ayant réussi à surmonter l’expérience totalitaire. C’est un régime hybride qui s’attire régulièrement les foudres de l’ouest.
Le commentateur de la Russie se trouve dans une situation délicate: doit-il
se poser en vecteur de l’idéologie occidentale, raillant et condamnant
systématiquement ce pays ? Doit-il au contraire faire preuve de compréhension
envers la Russie et son évolution historique? Jusqu'où faut-il critiquer le
système mis en place par les Américains, qui libérèrent tout de même l’Europe
au prix du sang versé ? Cette libération justifiait-elle l'impérialisme sur
lequel elle a débouché?
Force est de constater que malgré la fin de la guerre froide, les tensions sont toujours palpables. Avec toutes ses contradictions, la Russie incarne une tendance forte : la volonté de vivre en marge du carcan occidental, tout en partageant avec l'ouest un socle de valeurs communes. Une soif d'exister à sa façon, sans pour autant se cacher derrière un rideau de fer.
Cette posture historique complexe, instable, n'a pas fini d'alimenter la
guerre silencieuse opposant la Russie et l'Amérique. »
Il existe donc de grands journalistes merci de nous les faire rencontrer
RépondreSupprimerIl me rappelle qu'après la mort de Franco, les kiosques de Barcelone s'étaient couverts de revues porno.
RépondreSupprimerLa barrière entre la Russie et le reste de l'Europe est d'abord dressée par les anciens pays du Comecon qui ont payé cher pour savoir ! J'ai des amis polonais, c'est indélébile, quelle que soit la forme du gouvernement russe. C'est pourquoi, vouloir diviser l'Ukraine en zones d'influence dans une analyse m'apparaît scabreux même s'il existe des marqueurs culturels différents.
Je lis dans la presse :
"Plusieurs milliers de personnes ont toutefois manifesté à Kharkiv (capitale russophone du pays) en solidarité avec Maïdan. Le gouverneur de la région, Mikhaïlo Dobkine, et le maire de la ville, Hennadi Kernes, ont, eux, franchi la frontière russe."
Ianoukovitch a en fait été arrêté par les garde-frontière de Kharkiv contre l'avis des caciques locaux ! C'est beaucoup dire pour la suite.
La visite guidée de son "palais" sur Internet rappelle les heures les plus sombres de la Roumanie au drapeau troué ; même si la tragédie n'est pas au programme. Heureusement.