Je saisissais avant-hier l’occasion du premier anniversaire du début des "évènements"
de l’est de l’Ukraine, pour tenter d’évoquer par une image l’inexistence du
concept d’Europe en politique étrangère.
Le fait que la remplaçante de Lady Ashton ne soit plus une anglo-saxonne ne
change rien à l’affaire. En effet, dans ce domaine comme dans les autres, tout le
machin qui préside faute de mieux à
cet assemblage de 28 poires et cochons ne peut être que le factotum du grand
frère amerloque.
Et voilà que je lis ce qu’affirme Stephen Cohen, historien américain et
professeur de l'Université de Princeton, dans une interview au quotidien The Nation :
« La Russie et les Etats-Unis sont aujourd'hui
plus près d’une guerre qu'à l'époque de la "crise des missiles" de
1962. »
Et
là-dessus, je découvre un détail que je n’avais pas remarqué en son temps :
En juillet 2014, l’ambassadeur des Etats-Unis en Russie a été remplacé. Banale
routine en apparence dans la gestion des carrières du corps diplomatique d’un
grand pays. Certes. Mais qui est donc l’actuel ambassadeur US dorénavant en
poste à Moscou ? – Ben, c’est John
Tefft…
C’est-à-dire l’homme qui était à la manœuvre comme
ambassadeur US en Géorgie entre 2005 et 2009 puis… en Ukraine de 2009 à 2013…
Contrairement à son prédécesseur à Moscou, McFaul,
Tefft est un "technicien" expérimenté dans la déstabilisation des
régimes en place et la supervision de ce qu’on appelle les révolutions de couleur dans l'espace postsoviétique… Compte-tenu de
l’hystérie anti-russe entretenue tous azimuts sous la pression de Washington, autant
dire que sa nomination à ce poste n’est pas neutre…
Du coup, j’ai voulu vous faire partager ci-dessous un très large extrait d’une
contribution de Pavel Rodkine, expert en image de marque et en communication visuelle, collaborateur,
il est vrai de Rossiya Segodnya (l’agence coordonnant la
promotion de l’image de la Russie et des intérêts du pays) :
« Le contexte global: les révolutions de
couleur ont cessé d'être des protestations pacifiques.
Les
révolutions de couleur ont surgi comme phénomène politique et sociétal lors de
la révolution orange à Kiev en 2004 (…) Bien que d'autres révolutions de ce
type se soient produites avant (révolution des roses en Géorgie en 2003) et après la révolution orange (deux révolutions au Kirghizstan: révolution des
tulipes - ou des citrons - en 2005 et une seconde révolution des
tulipes en 2010), c'est bien Kiev qui a
été le point de départ de l'application de nouvelles technologies politiques,
sociales et humanitaires.
Le
caractère non-violent et de "velours" ne correspond plus depuis
longtemps aux premières révolutions de couleur. Les appellations symboliques
des protestations par des noms de fleurs ou de couleurs sont devenues une
formalité. Très souvent, elles ne se ressemblent pas.
Les
révolutions de 2010-2011 en Tunisie et en Égypte portent à la fois plusieurs
noms: jasmin, dattes, melons, twitter, jeune, moutarde, balnéaire, pyramide,
etc. Les médias s'emmêlent les pinceaux, ce qui témoigne du cynisme de ceux qui
collent ces étiquettes.
En
s'intéressant à l'histoire des révolutions de couleur, leur nature radicale (par exemple, les tentatives de révolutions de
couleur en Biélorussie en 2006 ou en Moldavie en 2009) devient flagrante. Et ce n'est même pas l'Ukraine
avec l'Euromaïdan de 2013-2014, mais la Thaïlande, qui a tiré un trait sur le
mythe des révolutions civiles pacifiques.
Les
manifestations dans ce pays ont évolué selon le scénario classique des
révolutions de couleur: le tableau des protestations à Bangkok en 2009
reproduisait et rappelait la révolution orange à Kiev en 2004. Cependant, à
partir de 2013, des affrontements de rue ont commencé à Bangkok et l'escalade
du conflit civil a été arrêtée uniquement pas un coup d'État des militaires.
Les
événements de l'Euromaïdan en 2014 n'étaient pas un écart au scénario
pacifique, mais une réalisation technique du plan de coup d'État. La révolution
de couleur disparaît peu à peu comme technologie non-violente de renversement du
gouvernement, mais son image positive fonctionne encore.
L'emballage
symbolique et informationnel reste également un élément important de
l'accompagnement médiatique et permet de donner à un banal coup d'État
l'apparence d'une protestation sociale noble. D'autant qu'en l'absence de
compréhension du contenu réel, c'est par la forme extérieure que se laisse
séduire la société active: la classe créative, l'intelligentsia, les
entrepreneurs et les élites.
Le stade préparatoire: la guerre médiatique.
Les
révolutions de couleur sont précédées d'une sérieuse préparation, qui vise à
former une image négative du pouvoir en place auprès du public. En ce qui
concerne la Russie, le stade préparatoire a déjà commencé et il concerne le
contexte global et les processus où la Russie s'avance comme un centre de force
alternatif.
Le crash
du Boeing malaisien en Ukraine peut servir d'exemple du stade ouvert de la
guerre médiatique. Les médias occidentaux ont sans appel accusé la Russie et
Vladimir Poutine personnellement, bien avant les résultats de l'enquête
officielle. On a créé et lancé l'image sombre du président russe comme assassin
et ennemi.
Les
technologies médiatiques d'aujourd'hui ont pour but de diaboliser
l'adversaire et le déshumaniser. Après tout, la guerre contre le
"mal" justifie la guerre en soi et ses victimes.
Un autre
objectif de la guerre médiatique consiste à éradiquer et bloquer la perception
critique de l'information par le grand public. Les médias suppriment l'esprit
critique et fragmentent la conscience. C'est la base des falsifications dites
"de réseau", qui remplacent les informations.
C'est
ainsi qu'étaient présentés les reportages occidentaux sur la guerre d'août
2008, quand la vidéo de lance-roquettes multiples Grad géorgiens tirant sur Tskhinval
avait été présentée comme une attaque russe contre la Géorgie. Pendant la
guerre en Libye, les médias ont même construit des décorations spéciales au
Qatar. Et les informations ukrainiennes sont presque intégralement basées sur
des falsifications.
En dépit
du caractère primitif de ces méthodes, la conscience des masses y croit : une
photo ou une vidéo accompagnée d'un descriptif approprié fait l'effet d'une
preuve documentaire pour la société contemporaine. Mais le plus terrible, c'est
que l'image médiatique peut servir de réel prétexte pour une invasion et une
guerre.
Les
technologies de couleur, dans leur aspect communicationnel, seront efficaces
tant que les sociétés des pays-cibles interpréteront la réalité politique,
sociale et économique à travers des "mêmes" unidimensionnels qu'on
leur impose par un système complexe de design social moderne. La possibilité de
trouble dans la conscience publique est créée grâce au faible niveau de
réflexion critique, ainsi qu'à l'injustice et à l'inégalité sociale utilisées
comme un terreau pour les protestations.
Du carnaval au pogrom: à quoi s'attendre après 2014.
La
déstabilisation de la situation en Russie est globale, l'attaque visera l'axe
de l'Union économique eurasiatique (Biélorussie et Kazakhstan), et voudra déstabiliser la situation dans les pays
du Brics. Les médias et les élites compradores feront partie des moyens de
promotion, c'est pourquoi la compréhension des technologies décrites est
primordiale pour analyser les événements à venir.
Les technologies
de destruction qui seront mises en œuvres après 2014 peuvent être réparties en
deux types ou plutôt "étapes", qui ne se succèdent pas forcément et
sont parfaitement complémentaires.
1) Les
USA préfèrent agir de manière stéréotypée, tant qu'un scénario fructueux ne
sera pas complètement épuisé. Rappelons que Tefft était l'ambassadeur en
Géorgie en 2005-2009, puis en Ukraine entre 2009 et 2013. Par conséquent, une
nouvelle tentative sera certainement entreprise de réanimer la révolution des "rubans
blancs" et le scénario de Bolotnaïa de 2011-2012. Avec une nouvelle force
reprendra la protestation de "carnaval", on insufflera une
nouvelle vie aux projets de séparatisme "créatif" ou autres
performances de protestation et actions artistiques.
2) Comme
le montre la pratique des révolutions de couleur présentée ci-dessus, la nature
carnavalesque et le symbolisme de la protestation n'ont plus d'importance. Les
affrontements avec la police à Moscou en 2012 n'étaient qu'un épisode des
manifestations, désormais elles seront le but, et les formes d'identité
négative les plus sauvages passeront au premier plan au lieu des symboles et du
design "créatif".
Les
superviseurs et les planificateurs des coups d'État misent aujourd'hui
essentiellement sur les nationalistes, les radicaux, les extrémistes et les
terroristes. La protestation contre la politique libérale et sociale de l'élite
pourrait également être réorientée contre l'État.
Bien que
l'exemple de l'Ukraine ait montré avec un très grand réalisme ce qui se produit
quand un État s'effondre (tout
comme récemment la Yougoslavie et la Libye), le
principal problème est que les facteurs extérieurs "assurent" la
stabilité sociale et politique. Le "facteur de compréhension"
intérieur, comme le qualifie Alexandre Zinoviev, celui qui assure la véritable
stabilité de la société face aux défis extérieurs et aux technologies de
manipulation, demeure dans un état embryonnaire et hors système. »
Pavel Rodkine
Voilà. Dans les livres d’histoire, on nous parle
de Sarajevo et de Dantzig. De quoi parlera-t-on pour la prochaine ?
– De Béachelle sur la Place Rouge ?
Pour nous, pour les couleurs, depuis le onze
janvier on a déjà les crayons…
John Tefft
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