En ces temps où chacun doit
se méfier de l’endroit où il met la virgule, s’exprimant jeudi dernier devant
un parterre d’invités de choix, notre Cyborg-président a donc dit expressément
ceci :
"- Une gare, c'est un lieu où l'on croise les gens qui réussissent et les
gens qui ne sont rien."
Je ne m’étendrai pas sur les
cris d’orfraie, les touïites scandalisés, les miaulements outragés et autres éruptions
d’indignation surjouée suscités par ce propos dans le petit monde
politico-médiatique, de gauche comme de droite. C’est de bonne guerre ; il
faut bien que les indignés fatigués d’être debout et les intermittents du
scandale trouvent des os à ronger pour continuer à exister…
Au demeurant, le
Cyborg-président ne l’a pas volé.
- D’abord, s’il est bien,
comme on nous le dit, un grand amateur de littérature avec un goût prononcé
pour la philo, il devrait relire les discours que lui concoctent des sherpas
qui n’ont sûrement pas fait Normal-Sup’ lettres et, si c’est le cas, sûrement
pas à l’ancienne. Il n’aurait jamais
dû laisser passer les, pronom
personnel, au lieu de des,
article indéfini :
"- Une gare, c'est un lieu où l'on croise des gens qui réussissent
et des gens qui ne sont rien." Ça n’a tout de suite plus du
tout la même gueule ni, surtout, le même sens…
- Ensuite, il n’a vu dans
cette phrase anodine qu’un simple constat
d’un fait banal à ses yeux que tout un chacun peut constater par lui-même. Il
est toujours dans un logiciel de campagne sans contradicteurs où la technique creuse
du "l’eau ça mouille et le feu ça brûle" permet de meubler l’argumentaire de vente aux consommateurs
électeurs pour leur faire dire : Mais
oui, mais c’est bien sûr ! Comme il est intelligent ce type !...
S’agissant des guignols qui
se sont "indignés", je suis en outre sûr que, pour beaucoup qui ne
lisent qu’en diagonale ou se contentent (souvent) de reprendre ce qu’a dit l’autre,
si leur rétine a lu "qui ne sont
rien", leur cerveau a dû enregistrer "qui ne font rien". Réaction pavlovienne immédiate du
défenseur de la mémoire ouvrière, du modèle-sozial-fwançais, des
acquis-de-36-45, de, de… Enfin bref…
Pourtant, pour moi, penser
qu’ils ne sont rien, c’est pire que penser qu’ils ne font rien…
Mais ce n’est pas tout.
Comme il parlait de gare, j’ai cru d’abord qu’il avait dit ça à Rennes lors de
l’inauguration de la nouvelle gare TGV. Là, outre sa suite et ses gardes, il
était entouré d’une foule d’employés de la SNCF, braves garçons et braves
filles qui s’étaient escagassés depuis des jours pour pouvoir l’accueillir dans
un livre d’images. Qu’ils soient salariés syndiqués de la SNCF ou précaires de
sous-traitants payés avec des élastiques (l’usager les confond), on ne peut pas dire qu’ils
ont réussi au sens macronien. Mais ils ne sont pas rien…
Non. Ce n’est pas devant ce
genre de public qu’il a dit cette phrase. C’est à l’inauguration de la Station F.
Je n’ai nulle part trouvé
noir sur blanc le substantif ou l’adjectif ou le nom propre dont ce F est l’initiale.
Je présume que c’est une façon très marketing
de suggérer Station France, nom à l’évidence
trop réducteur. F, au moins, reste
ouvert sur le monde, sur 2022 Odyssée de l’espace… Et puis Station ! Le vieille halle Freyssinet était après-tout un
bâtiment ferroviaire. Passez donc par chez nous mettre votre poussin sur les
rails pour continuer ensuite votre voyage vers des horizons lointains. Que c’est
beau ! Station… comme un arrêt de bus… Station F, donc. Euh… F comme Facebook… Ou plutôt F comme Free peut-être ?
Ultra moderne et novatrice
pour l’époque, connectée à la gare d’Austerlitz, la halle Freyssinet a été
bâtie en 1929 pour répondre aux besoins du trafic de fret. Elle était laissée à
l’abandon par le SERNAM depuis dix ans. Dans le cadre de l’opération de ZAC rive-gauche,
la Ville de Paris l’a rachetée à la SNCF en 2013 pour un prix que je n’ai pas
trouvé (en usant de son droit de préemption) et revendue dans l’heure à… Xavier Niel (Free, le Monde…) que l’on ne présente plus…
Et notre Xavier Niel offre
donc à la France (hum) la Station F destinée à être le plus grand
incubateur numérique du
monde pour des start-up et des entreprises innovantes… Cool !
C’est donc lors de l’inauguration de la
Station F que le Cyborg-président a prononcé la phrase si vivement contestée. L’ambiance
s’y prêtait évidemment mieux. Là, en effet, il n’avait pas devant lui un public
de cheminots et d’élus locaux mal dégrossis comme à Rennes. C’était le monde
des start-ups, des geeks de haute volée, des trentenaires aux cerveaux affutés.
Bref, aucun auditeur entre les petits fours n’imaginait côtoyer là un voisin
qui ne soit rien…
Macron, soyez-en sûr, se pense
incubateur en chef du devenir radieux de la France ce pays l’Europe,
enfin de toussa…
Ah oui ! Ajouté à l’effet que m’a
fait la contemplation de son portrait officiel,
sa fonction impérial d’Incubator me
fait penser à l’Incube. Oui, l’incube, la version mâle du succube (qui en est la version
femelle même si le mot est masculin, n’ergotons pas) Dans les mythologies antiques, l’incube
était un démon prenant l’apparence d’un homme pour posséder virilement une
femme (ou
tout aussi bien un homme, zétaient déjà modernes) et étouffait souvent sa proie jusqu’à ce que mort s’en
suive…
Euh… Je n’ai pas dit que le Cyborg est
un incube, hein. Mais je me méfie quand-même…
Bonjour,
RépondreSupprimerMonsieur Macron vit donc dans un monde binaire de start-up où on "réussit" ou bien on n'est rien, ce n'est finalement guère différent de ce que déclarait Jacques Séguéla avec sa rolex comme curseur de vie réussie à 50 ans...
Comment peut-on dire une ânerie pareille quand on se pique de philosophie.
Quand bien même eût-il dit "DES gens qui réussissent et DES gens qui ne sont rien" cette façon de réduire l'humain à une réussite professionnelle et à défaut en faire un "rien" laisse rêveur sur les valeurs qui importent aux yeux de notre Jupiter qui s'amuse du haut de l'Olympe des tourments des pauvres humains.
Avec Emmanuel, pensons printemps mais surtout Printemps chic et cool de winners quant aux ploucs illettrés qu'ils aillent au Leader Price... :-)
Tout cela traduit admirablement la mentalité répugnante de ce type. Bien fait pour ceux qui l'ont mis là où il est : ils savent (peut-être ?) maintenant ce qu'ils valent à ses yeux selon la case où ils se trouvent ...
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