On n’échappe pas à ses fournisseurs… Au printemps dernier, sur la mienne
terrasse en mon douar d’élection, je me suis retrouvé le cul par terre, le
fauteuil pliant s’étant effondré sous mon (honnête) poids… La
chose était à craindre, une inclinaison suspecte dudit mobilier m’ayant alerté
depuis quelque temps déjà. Il est vrai qu’en ces temps nouveaux où
l’obsolescence des produits est scrupuleusement programmée par les
manufactures, je ne pouvais rien reprocher à ce pliant de jardin qui
m’accueillait pour le déjeuner aux beaux jours, pour le café quelle que soit la
saison, et dont bien d’autres aussi ont usé et abusé. C’était en effet le
dernier survivant devenu assez pourave d’une paire acquise neuve il y a
exactement… trente ans ! La
nostalgie aidant, j’y étais attaché et fut fort chagriné de cette perte.
La mort dans l’âme, je me suis donc résigné à commander à la bonne maison Lafuma, fournisseur agréé du
Ploukèmistan, deux articles jumeaux comparables au de-cujus. Ceux-ci, promptement livrés, me conviennent parfaitement.
Certes, je soupçonne fort leur espérance
de vie d’être plus étriquée que celle de leurs prédécesseurs mais bon.
Compte tenu de mon âge et de mes coronaires, ce sera bien suffisant et ma
lignée s’en démerdera…
Mais ce n’est pas de ça dont je veux vous parler. C’était juste pour
éclairer le fait que ; depuis cette commande de deux fauteuils pliants en
juin dernier, la maison Lafuma ne rate aucune occasion d’enrichir ma boîte à
courriels de réclames pour ces soldes et autres opérations promotionnelles…
C’est ainsi qu’hier je trouve dans ma boîte électronique un courrier
intitulé :
Fête des
grands-mères : La relaxation à moins 20 % !
Plutôt que de trasher illico la
ligne dans la poubelle, alléché par le titre, j’ouvre la lafumesque réclame et s’étale alors sous mes yeux ravis la
belle illustration polychrome que voici :
A l’instar de la Saint-Valentin inventée par le consortium des fleuristes,
des bijoutiers et des restaurateurs, je sais bien que la fête des grands-mères a
été inventée par les fleuristes pour beurrer un peu une des fins de mois
difficiles entre les chrysanthèmes et le muguet. Mais bon. Profitez du code de
remise si vous voulez…
Moi, je me suis attardé à regarder l’image et j’ai repensé à mes
grands-mères, à leurs chignons de cheveux gris et à leurs peaux ridées qui n’avaient
guère connus de crèmes de jour… Et
moi qui suis aujourd’hui moult fois grand-père, je me suis dit que je n’avais
plus la même tronche que lors de mon premier achat de fauteuils Lafuma… Regardez
nos deux tourtereaux : Lui a la même barbe que moi, moins blanche certes,
mais d’un grisonnement de bon aloi qui vous pose le mec solide. On notera qu’il
n’a pas droit, lui, ni aux crèmes de jour (et de nuit) ni aux teintures de
cheveux de sa moitié. C’est discriminatoire,
que fait la police ?! Oui mais
elle, c’est "parce qu’elle le vaut bien "…
On notera aussi qu’on ne parle plus du "troisième âge" mais des "seniors". Ce qui permet de shunter
le quatrième âge… Ça évite de faire peur, ce qui n’est pas bon pour le commerce.
Un peu comme le réfugié ou le migrant évite de voir le clandestin et le
fanatique dormant… Cébien.
Regardez autour de vous. Non ! Ne regardez pas les gens ! Vous pourriez y voir des vieillards, des mal-foutus
et des mamies aux grosses fesses et chevilles enflées traînant leur cabas… Sachez
qu’ils n’existent pas ! – La preuve ?
Regardez les affiches, les dépliants vantant les résidences-service pour
seniors, les pubs dans les vitrines des pharmacies ou des marchands de
sonotones… Vous verrez que l’homme (et la femme) ne vieillissent pas au-delà du minimum imposé
de relaxation nécessaire pour freiner
la hausse du chômage et creuser la tombe du système de retraite par répartition !
L’homme reste lisse et rose. Et cela qu’il soit guichetier des postes ou
employé du gaz. Même un commis épicier de chez Félix Potin ou un commercial des
Pompes Funèbres Générales un peu enveloppé (lorsqu’il est endimanché, je
précise) mérite d’être immortalisé par Raymond Depardon en personne dans les
jardins de l’Elysée. Regardez les jaquettes de Gala, de Gay-Pied, de Notre Temps (mais pas de Play-Boy car l’homme y laisse toute la
place à l’autre genre, ce doit être
ce qu’on appelait la galanterie) : Dans tous ces regards réjouis, aucune trace
des prémisses d’Alzheimer…
L’homme est donc toujours dans la force de l’âge, dans les émerveillements
d’une tardive jeunesse ou les frémissements d’une prématurité adolescente.
Depuis la nuit des temps, il se déplace sur ses pattes de derrière avec cette
élégance et cette mâle assurance qui font s’agiter les hormones des sauterelles
botoxées comme des bourgeoises middle-class et des shampouineuses mal baisées.
Et ce n’est pas seulement le cas des spécimens d’éphèbes hantant l’été les
plages de Saint-Trop-Pèze. J’en veux pour preuve que même un Corrézien
d’élection, un peu enveloppé, en chemise à manchettes et en prêt à porter qui s’échappe
en scooter a du succès ! Si je cite ce dernier exemple, ce n’est pas par
hasard : dans un échantillon, le zoologiste prendra toujours en référence
le spécimen médian, l’individu moyen,
bref le plus normal. Celui qui lui
semblera faire le mieux la synthèse
de l’ensemble étudié. Dans lequel on pourrait retrouver aisément et tout à la
fois Sébastien Chabal et Justin Bieber.
Mais revenons aux grands-mères. Il est vrai qu’elles sont
de plus en plus attrayantes, surtout sur les pages de Notre Temps et dans les pubs pour des croisières ou pour des colles
à scotcher les dentiers. Cela est dû aux progrès de la science en générale et
des assurances sociales en particulier. Toutefois, si ce constat semble avéré
sur les supports susdits, il ne se vérifie qu’assez médiocrement par ailleurs,
que ce soit dans les foyers
appropriés ou dans le secret des familles. Il s’en suit toutes sortes de
petites contrariétés pouvant parfois déboucher sur un recours à des cellules d’assistance psychologique.
Bien que ces dernières soient créatrices d’emplois, l’acceptation de leur
nécessité trahit un renoncement à l’horizon indépassable du risque zéro et au respect
constitutionnel du principe de précaution.
Rien n’est donc encore parfait.
Mais je m’égare…
D’éventuels vieux lecteurs exigeants échappant encore
aux premiers troubles de mémoire m’excuseront d’avoir, par flemme, allongé ce
billet de quelques lignes piquées dans un autre déjà vieux de trois ans et demi…
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