Fin décembre.
Donc, nous avons attendu les casques bleus. A tout prendre, on espérait un peu toucher des Népalais. Je sais bien qu’on raconte qu’ils ont importé le choléra à Haïti mais bon… Peste ou choléra, autant être en bonne compagnie.
Fut un temps où, pas si loin d’ici, un de nos refuges de montagne a été tenu un paquet d’années par une famille de l’ethnie Sherpa arrivée chez nous Dieu sait comment ; efficaces, tranquilles et sympas. De toute façon, un fermier d’ici qui traie ses vaches Abondance à l’estive aura toujours plus d’affinités électives avec un montagnard qui fait son beurre au lait de yak qu’avec un traîne-savate ramasseur de cacao…
Les Népalais, on voit à peu près à quoi ça doit ressembler. Les autres aussi d’ailleurs… Justement…
Manque de pot, on a eu droit aux Ivoiriens. Ils sont d’abord restés en bas avec une logistique à l’américaine et des consignes strictes. Il est écrit dans leur manuel "n’acceptez jamais un verre d’eau d’un autochtone, il pourrait vouloir vous empoisonner". Ceci-dit, leur manuel est en anglais et ils ne comprennent que le dioula et le français (variante de Yamoussoukro)…
Leur première mission a été de dégotter des divers prêts à "témoigner" de quelque atrocité. L’ambiance et l’imam aidant, bien sûr ils en ont trouvé… Maintenant, ils doivent contrôler l’arp (les alpages au delà des épicéas, quoi !) On y constate l’absence de divers, chose éminemment suspecte et donc lieu de retranchement probable de réfractaires au consensus d’Istanbul, forcément…
Ils sont donc "montés"… Personne ne les a attendu pour rentrer femmes, bétail et enfants, même pas l’idiot du village qui a toujours voté Lutte Ouvrière ; les plus pressés étant les trois cons qui votaient PS (ou MODEM dans leurs bons jours…)
Ne souhaitant pas s’aventurer dans les ruelles, le chef du détachement a fait chercher le maire pour l’interroger sur la place, debout comme un suspect dans l’axe de la 12,7 sur affût de son VAB repeint en blanc. Ne trouvant rien à tirer du maire, il est parti vers le village suivant en laissant sur place une demi-section avec deux jeeps, à charge pour elle de contrôler la commune…
Harnachés comme des mulets avec treillis brousse, gilets pare-balles et saladiers bleus mais en se gelant les burnes, les cirages prennent leur temps pour ratisser les hameaux l’un après l’autre avec une lenteur toute africaine. Pour l’instant, à ce qu’on dit, les dégâts se limiteraient à quelques poules et bouteilles de prune. Je sais bien qu’on raconte aussi une sombre histoire avec la givrée à tatoo-piercing qui se teint en rousse et se la joue bimbo. Mais je la croise toujours en pleine forme et, de toute façon, celle-là elle est pas du pays… Ils ne sont pas encore montés jusqu’ici.
Tout à l’heure, j’ai croisé le berger, mon seul voisin à la morte saison. Un jeune. On ne s’est rien dit. Juste un regard, on s’est compris. Il a rentré sa compagne et son môme qui doit bien être en CP maintenant. Et rentré ses brebis aussi, on aura du fromage cet hiver…
C’est le 31 aujourd’hui et voici venir l’heure mauve, moment fugace d’éclairage sublime où le glacier et les névés contrastent avec leurs écrins de roches ocre sombre avant que tout cela ne tourne au terne gris bleuté ; moment apaisé de douce oisiveté clôturant la journée. Que vouloir d’autre ? Niente di più !
J’ai relu les lettres de mes enfants. Je n’ai pas voulu qu’ils viennent, c’est trop tard. L’un est parti pour l’Ecosse où il est attendu à bras ouverts. Les Highlands sont un peu comme ici ; moins accidenté mais même végétation, le gain en latitude compense la perte en altitude... Et le Parlement d’Edimbourg a refusé de transposer les lois de Westminster. C’est pas le Londonistan. Les autres sont partis pour l’Irlande où ils on déjà leurs marques, peut être avant d’aller plus loin.
Ils ont raison. Ils sont en charge d’âmes et en charge de l’Avenir. Comme leur a dit leur mère avant de mourir :
"L’avenir, ce n’est pas ce qui va arriver, c’est ce que vous allez faire…"
Je me suis servi un Highland Park 15 ans d’âge (la bouteille touche à sa fin) et m’attarde à écouter tinter contre le cristal le glaçon d’eau de source qui s’agite dans le liquide doré. Pris d’une impulsion, idiote peut-être, j’ai ressorti de sa poussière Le Camp des Saints de Jean Raspail (l’édition 1973, quarante ans bientôt…) Une envie d’en relire juste la dernière page pour retrouver les mots exacts de cette phrase d’un vieux prince Bibesco :
"La chute de Constantinople est un malheur personnel qui nous est arrivé la semaine dernière."
J’ai reposé le bouquin et les lettres à ma droite sur le guéridon. Avec le colt 45 ACP en guise de presse papier…
Et devant moi, sur la table basse, fidèle, le Riot Mossberg cal. 12, dégraissé, approvisionné…
Là-bas, au travers des arbres, j’entrevois la fumée rassurante de la cheminée du berger. Lui aussi est assis devant l’heure mauve. A nous deux, on a une vue complète de la route qui monte en serpentant. Sans angles morts…
Les cirages monteront par la route. Pas de risque qu’ils s’aventurent à travers champs dans la neige jusqu’aux cuisses…
Bon, il est tard.
Demain je vous téléphone, pour les vœux…
Se Dio lo vuole…
FIN
"Si la capacité des cons à s'auto-éliminer ne doit pas être négligée, la volonté effarante du monde moderne et de l'Etat-providence à les sauver rend vain tout espoir de sélection naturelle"
"Il y a deux aristocraties : celle du haut et celle du bas. Entre les deux, il y a nous, qui faisons la force de la France.
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Super fiction . J'achète! Mettez moi-en une palette ^^
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