« L’idée
d’un homme normal est un mythe semblable au mythe nazi » affirmait
Merleau-Ponty. La question de la normalité est restée jusqu’à présent à l’écart
des débats présidentiels. Mais puisque le sujet est à la mode, qu’on me
permette d’en souligner les risques. Les professionnels de la santé mentale
font preuve d’une grande prudence vis à vis de cette notion – qu’ils évitent,
soit dit en passant, d’aborder dans les manuels. Mieux vaut laisser planer un
doute et donner à chacun la liberté de créer ses propres normes plutôt que de
fixer arbitrairement les critères d’une « normalité » contraignante.
Au fond, n’est-ce pas s’interrogeant sur soi-même et sur ses propres normes que
l’on a le plus de chance d’être « normal » ? Qui, d’ailleurs, se sent vraiment
normal ? Lorsque j’ai posé cette question à un amphithéâtre d’une
centaine d’étudiants, seuls trois doigts se sont levés…
La
normalité est aussi insaisissable que le mouvement de la vie. Tout organisme
vit en créant un milieu qui lui convient : du simple protozoaire à l’être
humain, la vie se manifeste comme cette aptitude à transformer son monde de
façon créative pour parvenir à y survivre et s’y développer. Cela suppose
d’échapper aux normes imposées par le milieu – d’être ainsi, en quelque sorte,
« anormal », c’est à dire capable d’élaborer ses propres normes.
C’est pourquoi celui qui croit détenir la normalité est dangereux. Il risque
d’imposer sans recul critique sa conception personnelle de la norme. D’où la
mise en garde de Merleau-Ponty.
En
pratique, la définition du normal dans le domaine de la psychologie se décline
selon plusieurs axes, aucun d’entre eux ne donnant satisfaction. On est normal parce
qu’ordinaire, commun, usuel : c’est la définition statistique qui ramène
la normalité à la moyenne au risque de la médiocrité. On peut aussi être normal
par rapport à un fonctionnement psychique optimum : gare en ce cas à
l’idéalisation. Freud lui-même signalait le danger de vouloir à tout prix faire
un enfant « normal ». On peut enfin être normal parce qu’on n’est pas
fou : reste alors à définir la folie. Les batailles d’experts autour des
tribunaux démontrent combien ce point, quand il n’est pas flagrant, demeure
sujet à caution.
Nul
doute que si l’on fait aujourd’hui de la normalité une vertu, c’est parce qu’on
y voit le contraire d’une certaine folie. Le monde est devenu fou : il a
perdu ses règles d’autrefois, il est « déréglé ». Malheureusement,
face à ce dérèglement, rien de pire que le repli sur une prétendue normalité
protectrice. C’est précisément le moment où il faut inventer de nouvelles
normes, prendre le risque de l’anormalité. Car être normal, au fond, c’est ne
pas avoir peur de l’anormal : c’est être capable d’affronter la folie en
gardant confiance dans ses ressources. C’est ne pas craindre d’être un peu fou.
Quelque
soit son président, la France devrait vite retrouver le goût de cette
normalité-là, celle qui se nourrit du mouvement et du changement, sans se
laisser griser par le sourire bienveillant d’un chef. Un bon sourire n’est pas
synonyme de normalité mais d’heureuse adaptation sociale. Et quelques tics ne
sont pas davantage synonymes de folie. Peut-on
d’ailleurs être « normal » quand on veut être président ? Au
sens statistique du terme, la réponse est clairement négative : qu’on nous
préserve d’un chef ordinaire, surtout par temps de crise !
Jean-Paul
Mialet
(psychiatre,
Directeur d’enseignement à l’Université Paris V, ancien Chef de Clinique à
l’Hôpital Sainte-Anne)
Tribune
publiée ce matin sur Atlantico.fr
Normal, François
Hollande ? Et en face : fou,… ou simplement moins hypocrite ?
Bon papier.
RépondreSupprimerNormal signifiant "conforme aux normes" encore faut il qu'il y ait des normes. A ma connaissance, il n'y
RépondreSupprimeren a pas. Donc, en l'espèce, normal veut dire "benêt".
C'est évident.
Amitiés.