Non, je ne pense pas
à un pénitencier de l’Arizona. C’est juste qu’hier je lisais sur le net un
titre récurrent chaque année : "Journée
noire au Mont blanc"… Il y avait eu deux morts… Deux ! Ce n’est
jamais que 4 à 5% du score total d’un été ordinaire… Lassitude, donc. Mais le
must, c’est que le maire de St Gervais a dû pondre un arrêté interdisant l’accès
par la voie normale où avait eu lieu
l’accident… Je situe bien. C’était dans la montée au Goûter, au-dessus de Tête
Rousse. Début de course, donc encore de marche d’approche mais appelé non sans
raison le "couloir de la mort".
Du coup, ça m’a fait
repenser à divers billets anciens sur le sujet. Et comme font les quotidiens et
magazines qui nous fourguent leur feuilleton de l’été ou bande dessinée pour meubler, je me suis dit que je pourrais compenser
la baisse de tonus estivale en republiant d’anciens billets (vieux d’au moins
trois ans quand-même)
Ce sera le cas aujourd’hui :
___
Relation en deux actes avec leurs morales
des tristes aventures des Ivan et Léonid
fourvoyés dans les Alpes mais non sans leur portable.
Qu’est ceci, je vous
prie ? - C’est le titre…
Ayant évoqué l’autre
jour (ici) la stabilité du niveau moyen habituel des
pertes humaines dans le Massif du Mont Blanc en dépit de la hausse
exponentielle de la fréquentation (et donc de l’amateurisme…) il m’est revenu
en mémoire diverses anecdotes véridiques que me conta il y a quelques
années le commandant en second du Peloton de Gendarmerie de Haute Montagne de
Chamonix.
C’était déjà l’époque
où, grâce au redressement
productif (non folklorique, celui-là) opéré sous le premier mandat Poutine,
les Russes fleurissaient à Chamonix comme colchiques à la fin de l’été. Au
point de faire parfois oublier les bandes de rosbifs avinés qui, dans ce cul de
vallée, pourrissent nos anciens bistrots reconvertis, survie oblige, en faux
pubs, vraies variantes tropéziennes du kitch tyrolien.
Or donc, les premiers
Ivan et Léonid dont je veux vous parler (je n’ose plus les appeler Vladimir et je
m’en excuse) avaient entrepris une ascension quelconque sans accompagnateurs
autochtones. Ayant accumulé les retards et les contrariétés tout au long de la
course, nos deux guignols rencontrèrent le brouillard sur le retour et se
mirent à tourner en rond entre deux crevasses dans un fouillis glaciaire.
Sentant la nuit prochaine, ils finirent par se préoccuper d’appeler les
secours… Ouais, et comment fait-on au juste ? Ils n’en avaient pas la
moindre idée… Et les heures passaient…
Ils avaient bien un
téléphone portable à la batterie un peu faiblarde, mais quel numéro composer ?
Faute de mieux, ils appelèrent un premier numéro dont je reparlerai… Puis, en
fouillant dans sa poche, l’un d’eux en retira par hasard un petit bout de
papier froissé en boule : la facturette de l’épicerie où ils avaient
acheté la veille quelques provisions de bouche ; papier où était imprimé…
le numéro de la boutique !
Le téléphone sonna
enfin au PGHM. Au bout du fil, c’était… la gérante d’une supérette du fond de
la vallée qui s’apprêtait à fermer : "- Il y a des Russes ou quelque chose
de ce genre en difficulté là-haut !" ; "- Où
ça ?" ; "- Ils ne savent pas le dire." ; "-
Vous avez leur numéro ?" ; "- Non, ils ont raccroché et ça
ne s’affiche pas sur le téléphone de la boutique…" ; "- Il y a
des blessés ?" ; "- J’ai rien compris"… Bref, autant
chercher une aiguille dans une botte de foin sur 200 km ² de crêtes et de
ravins…
Il faut dire
qu’ignorant tout de la langue de Victor-Hugo et dotés d’un effroyable accent
moujik, nos deux Russkofs ne maîtrisaient guère qu’une trentaine de mots en
anglais, abstraction faite du vocabulaire international approprié pour la
beuverie et le péché de la chair…
La pauvre épicière
fut fermement invitée par les gendarmes à faire des heures sup’ plantée devant
son téléphone pendant que le standard des pandores faisait le tour des hôtels
fréquentés par les slaves pour s’enquérir des clients non rentrés de courses,
de leur téléphones, des soupçons de fausse alerte… Et les heures passaient…
Le téléphone sonna de
nouveau au PGHM. Au bout du fil, c’était… le quai d’Orsay ! Les deux
gonzes avaient appelé… chez eux… quelque part entre Odessa et Vladivostok. Et
de fil en bureau d’apparatchik, via leur ambassade à Paris et un gazier de
permanence au ministère des affaires étrangères, l’appel au secours arriva
enfin au PGHM avec des informations exploitables et, notamment, le n° de
portable des deux paumés… Avec un interprète promptement réquisitionné, on
appela. Las ! Si les deux zigotos purent dire enfin d’où ils revenaient,
ils étaient incapables de préciser ne serait-ce qu’approximativement, à quelle
hauteur et plutôt de quel côté du glacier ils se trouvaient… Si ! Ils
avaient remarqué un triangle de peinture verte sur un gros rocher. Ouais… Le
genre de repères placés par des glaciologues sur le glacier pour
calculer sa vitesse, donc repère qui se déplace…
Allez donc trouver au laboratoire de glaciologie quelqu’un pouvant vous
renseigner le soir à 23h… Je passe d’autres détails…
Bref, pour résumer,
le secteur de recherche étant quand même suffisamment délimité, l’hélico est
parti survoler la zone à balayer au projecteur. Pendant ce temps-là, voyant la
batterie du téléphone se vider inexorablement, les deux paumés voulaient couper
pour garder de quoi pouvoir, le cas échéant, dicter leurs dernières volontés.
Au centre opérationnel, l’interprète avait un mal fou à les retenir en
ligne : Il fallait que dans cette nuit sans lune, ils puissent dire en
temps réel quand ils entendraient l’hélicoptère s’approcher d’eux, ou
s’éloigner...
Les deux guignols
sont rentrés tout penauds mais bien vivants. On ne les y reprendra plus, sans
guide et, surtout, sans numéros adéquats en mémoire. Notez qu’on n’exploite
jamais assez le potentiel que représente une facturette de supérette…
__
Les Ivan et Léonid
suivants étaient d’une autre espèce. Nous les appellerons Youri et Dimitri pour
ne pas insulter les premiers. Youri et Dimitri étaient donc partis faire le Mont
Blanc en personne (et sans personne) L’exercice s’étant révélé pour eux plus
essoufflant que prévu, nos deux hommes n’arrivèrent que fort tardivement au
sommet. Ils appelèrent alors l’office du tourisme :
"- Nous sommes au sommet
du Mt Blanc et très en retard. Veuillez nous envoyer un hélicoptère."
"- Vous êtes en
difficulté ?"
"- Oui. Nous avons un
avion à prendre ce soir à Genève et nous allons le rater."
"- Sorry, Mr. Les vols
taxis sont interdits sur le massif. Nous ne sommes pas en Italie, ici. Seul le
secours en montagne peut survoler sans autorisation."
Il insiste grave [je résume
un max]
En désespoir de
cause, la fille passe l’appel à la gendarmerie en lui expliquant le truc. Le
PGHM :
"- Non, Monsieur, nous
ne faisons pas le taxi. Nous n’intervenons que s’il y a des blessés."
"- Et si je vous dis
qu’il y a un blessé ?"
"- Alors nous sommes
tenus de venir…"
"- Et bien nous avons un
blessé."
"- Quel est la nature de
la blessure ?"
"- Fracture. La jambe,
j’sais pas moi, le fémur, le tibia…"
"- Nous décollons tout
de suite. "
Un des deux mecs –en
meilleure santé que vous et moi – joue la douleur et se fait hélitreuiller. Ils
sont dans les temps pour l’avion de Genève…
On a beau être oligarque en son
pays, on ne peut pas tout prévoir : A peine atterri, attelé et ficelé sur la
civière, le gus est embarqué manu militari dans l’ambulance, direction l’hosto
toutes sirènes hurlantes. Là, plâtré du bassin aux orteils, il est mis "en
observation"… Principe
de précaution qu’on dit maintenant…
L’avion avait décollé
de Genève-Cointrin depuis belle lurette quand les médecins ont signé son bon de
sortie après application des prescriptions de l’ordonnance :
quittance donnée du paiement cash des coûts d’interventions, heure de vol,
frais d’hospitalisation et des amendes pour outrage à agents, fausse
déclaration, abus de confiance, etc. (le procureur mis dans le coup avait eu le
temps de soigner sa propre ordonnance
pendant qu’on calmait le type plâtré jusqu’au moteur dans son lit médicalisé…)
Dans le couloir de la mort...
merci plouc, histoire rigolote et merveilleusement écrite.
RépondreSupprimerAnne
J'imagine que le service des urgences, tout comme le proc' ont du appliquer la morale de Jean de la Fontaine.
RépondreSupprimer"si ce n'est toi, c'est donc ton frère"
"je ne dis pas que ce n'est pas injuste, je dis que ça soulage"
Popeye