Il fait chaud, le
ciel est d’un bleu d’opéra-comique, les Parisiens ont été remplacés par des
touristes danois de toutes origines venus des quatre coins du monde, et même
souvent de Paris, dans des cars géants à rétroviseurs de béliers mérinos, et
les plus hautes sommités continuent à se demander comment refonder, recomposer,
rénover, revivifier, recréer, ranimer, repriser, ressusciter enfin, et faire
resplendir, l’ancien Parti du progrès universel et pluriel aujourd’hui en
difficulté.
Ils devraient écouter les plagistes de la
Mairie de Paris. Ce sont eux qui ont trouvé la solution. Elle tient dans le
parasol, le transat et la glace en cornet. Dans la cabine de plage et le
palmier en pot. Dans le chouchou, dans le beignet et dans l’esquimau. Dans le
sable de synthèse et la pelouse au mètre. Et dans les grands brumisateurs
destinés à créer des nuages d’eau éclairés en bleu. À côté d’un tel programme,
le reste est balivernes. On disait la gauche en
panne de projet ? Incapable de refaire son unité autour d’une thématique renouvelée ?
De surmonter ses clivages
internes et de
mettre au point des propositions originales et crédibles ? Et
Paris-Plage alors ? Et les transats ? Et les cabines à rayures ?
Et les murs de varappe, les palmiers, le boulodrome, les spectacles assurés par
la « scène techno » ? Et les parasols ? Contre le parasol,
il n’y a pas une fracture culturelle, une fracture sociale, une fracture
urbaine qui tiennent. Le Front national lui-même recule devant le front de mer.
Cet été, les plagistes de la Mairie de Paris
ont résolu de parasoliser Paris. Et de le palmiériser. Et de le boulodromiser.
Et de le transatiser. Et de le littoraliser. Sur trois kilomètres. Entre quai
Henri-IV et Tuileries. Trois kilomètres pour commencer. On verra par la suite.
On généralisera le concept, puisqu’il ne s’agit que d’un concept. D’un bain de
concept. Même pas d’un bain de pieds puisqu’il n’est pas permis de plonger
fût-ce un orteil dans l’eau. Le concept a ceci d’avantageux qu’on peut
l’étendre à l’infini sans soulever des tempêtes de protestations. Pourquoi,
dans ces conditions, ne pas ensabler aussi la rue de Rennes et parasoliser le
boulevard de Sébastopol ? Puisque tout cela n’existe que par les mots employés ?
Bien entendu, il n’y a pas davantage de
plage, aujourd’hui, sur les bords de la Seine qu’il n’y en avait huit jours
avant. L’important est de vérifier si les gens vont accepter d’y croire. Car
tout cela n’a rien de futile. Ça s’appelle un programme. Innovant. Plein de
hardiesse et de fougue. Et piaffant d’audace. Contrairement à ce que l’on
imagine, Paris n’est pas une enclave pittoresque où résisteraient les derniers
adeptes du Parti du progrès universel et pluriel en difficulté. C’est un
laboratoire. C’est un terrain d’expérience qui a l’avenir devant lui. Le maire
nourrit d’amples ambitions. De son propre aveu, il souhaite réussir une
« nouvelle alchimie » dans la capitale. On ne saurait mieux
s’exprimer. « Il faudra, déclare-t-il aussi, qu’on puisse encore dire du
bien dans trente ans de ce que nous décidons maintenant » (mais pourquoi
faudrait-il attendre si longtemps pour en dire du mal ?). Ses grands
projets se résument à couvrir
tout ce que la sensibilité exquise de la modernité ne veut plus voir :
périphérique, parkings, hangars de stockage, entrepôts du service municipal des
Pompes funèbres. En gros, le réel. Delanoë le fourre sous dalle. Et,
par-dessus, il plante tout ce qui fait
rêver : murs d’escalade, squats d’artistes, promenades vertes,
multiplexes créatifs, lieux d’éducation aux arts de la rue, espaces
d’initiation à la musique hip-hop.
Et parasols.
Car il s’agit aussi de réconcilier le Parisien
avec son fleuve. Il paraît que jusqu’alors le Parisien tournait le dos à la Seine,
ses eaux noires moirées de mazout et ses courants d’air. De temps en temps, il
s’accoudait aux parapets pour regarder un suicidé en train de gagner le large
avec nonchalance. C’est tout ce qu’il avait comme distraction. Quel chemin
parcouru depuis. Maintenant, il peut bronzer en bordure de concept et s’initier
à la fabrication des nœuds marins dans une station balnéaire non figurative où
tout est stylisé, le sable, les pelouses, les oriflammes, les nœuds marins, les
murs d’escalade, sa propre personne. Exactement comme dans un quartier
piétonnier. Transformer les berges de la Seine en quartier piétonnier idéal,
voilà l’exploit des plagistes de la Mairie de Paris. Je le sais, j’étais sur
place le dimanche de l’ouverture du concept. On s’y marchait dessus. La réconciliation des Parisiens avec leur
fleuve s’effectuait au pas de charge. Le test semblait en bonne
voie de réussite. Nul ne manifestait la moindre épouvante. Nul n’avait l’air de
se rendre compte qu’il était en train de marcher dans un livre d’images pour
tout-petits. La grande métamorphose était accomplie.
Quel besoin, dans ces conditions, de chercher
à bricoler une nouvelle
thématique, un projet,
des propositions originales
et crédibles ? Pour séduire qui ? Les gens d’avant ?
Ceux qui auraient ricané à l’idée de se balader dans un concept soutenu par une
idée, elle-même suspendue à une théorie ? Ils n’existent déjà presque
plus. Le réaménagement abstrait du territoire est en train de forger son
peuple. »
Un texte de Philippe Muray. Sans doute de
2002…
Cf.
archives de céans ici
Paris, ville que j'aime tant, où je suis né et où j'ai vécu et travaillé, que j'ai quittée pour cause de prix prohibitifs, est en train de se muséifier à grande vitesse. Plus rien ne bouge, les entreprises s'en vont et évitent d'y aller à cause d'un environnement défavorable. Quelle différence avec Londres et Berlin. Finalement, pour savoir ce que vaut un pays, visitez sa capitale. Paris est à l'image du pays, vit sur l'acquis et ne construit, n'envisage plus rien.
RépondreSupprimerLe Nain