Qui peut prévoir le
résultat du référendum d’aujourd’hui en Grèce ?
Encore quelques heures à attendre. De toute façon, quel
que soit le résultat, on s’achemine vers un bordel des plus grandioses. Dans
cette attente – et en prévision de ce qui nous attend – nous, chez nous en
Fwance – j’ai estimé utile, ne serait-ce que pour en garder trace, de reproduire ici l’article
publié avant-hier par Jacques Sapir. Le
voici :
« Les électeurs
grecs sont soumis à une pression tant économique que médiatique sans précédents
pour les convaincre de voter « oui ». Les exemples ici abondent,
depuis les déclarations des hiérarques de l’Union européenne (les Juncker,
Schulz et autres) jusqu’aux pressions faites par les entreprises grecques, en
passant bien entendu par la pression la plus importante, et la plus
significative, celle de la Banque Centrale européenne qui a coupé l’accès au
compte Target2 des
entreprises grecques, les empêchant de commercer avec l’étranger. On est en
train d’étrangler la Grèce, en la privant de liquidités, et ce au moment même où
le FMI reconnaît le bien-fondé des positions défendues par le gouvernement
d’Alexis Tsipras. L’ampleur de l’ingérence européenne est sans égale ;
elle constitue un scandale inouï et un déni de démocratie immense. Elle jette
un doute sur l’honnêteté du résultat si le « oui » devait l’emporter.
Mais, ce référendum a
permis en quelques jours d’opérer un dévoilement important de l’attitude tant
de l’Eurogroupe que de l’Union européenne. Ce dévoilement de la nature réelle
des institutions européennes est un fait important pour l’ensemble des peuples
qui vivent sous ce qu’il nous faut bien aujourd’hui appeler la coupe de l’UE.
Il faut donc ici faire le bilan de ce que nous avons appris à la fois dans les
mois qui nous séparent de l’élection de janvier dernier et surtout dans les
jours qui ont suivi l’annonce du référendum.
La position, tant de
l’Eurogroupe que de la Commission européenne, ou du Conseil européen, vis-à-vis
du gouvernement grec n’a nullement été fondée sur un constat économique mais
elle a toujours procédé d’un parti-pris politique. En effet, il était clair que
les demandes de restructurations que le gouvernement grec a présentées sans
relâche depuis le mois de février dernier de la dette étaient fondées. De nombreux
économistes l’ont écrit [1]. Même le FMI l’a récemment reconnu [2]. Il est
aujourd’hui évident que cette restructuration devra avoir lieu, et que le plus
tôt sera le mieux. Les rejets multiples et répétés de ces propositions par
l’Eurogroupe n’ont eu pour seul objectif que d’aboutir soit à la capitulation
du gouvernement grec soit à sa démission. La déclaration de Martin Schulz,
Président du Parlement européen le confirme [3]. Il est donc désormais bien
établi que les institutions européennes n’ont eu de cesse que d’obtenir le
départ d’un gouvernement démocratiquement élu. Ceci en dit long sur la notion
de « démocratie » dont on se gargarise tant à Bruxelles qu’à
Strasbourg. Ces « institutions » ont donc mené une guerre sans relâche
contre le gouvernement grec, n’hésitant devant aucune manœuvre pour le
déstabiliser. On en a eu une confirmation avec les méthodes odieuses qui sont
utilisées contre lui depuis qu’il a décidé de recourir au référendum.
L’Eurogroupe, qui est
l’instance assurant le pilotage de l’Union Economique et Monétaire, que l’on
appelle la « zone Euro » n’a pas hésité à violer les règles tacites
de fonctionnement établies depuis maintenant des décennies que ce soit du temps
du « Marché Commun » ou de celui de l’Union européenne. En décidant
de tenir une réunion dont le ministre Grec, M. Varoufakis, serait exclu,
l’Eurogroupe, et en particulier son Président M. Dijssenbloem ne se sont pas
seulement comportés de manière illégale, mais surtout de manière contraire aux
principes qui sont censés être respectés entre les différents pays de l’UE. Il
s’agit, ici encore, d’un abus de pouvoir inouï. Il n’a de parallèle que la
décision de la Banque Centrale Européenne de couper les comptes Target2 (ou système
électronique de transferts intra-zone) des entreprises grecques, organisant une
pénurie artificielle de liquidités en Grèce, pénurie qui pèse de manière
dramatique sur la situation de la population et qui compromet la tenue du
référendum. C’est la première fois que, dans l’Histoire, une Banque Centrale
organise une crise financière au sein de la zone dont elle a la responsabilité,
non par incompétence mais à dessein. A nouveau, nous sommes confrontés à un
abus de pouvoir inouï. Cet abus de pouvoir signifie en réalité que, sans le
dire, la BCE a exclu la
Grèce de la zone Euro. Si tel n’était pas le cas, la BCE aurait dû
continuer à respecter les comptes Target2 des
entreprises. Cela signifie que tant l’Eurogroupe que la BCE ne respectent pas
la souveraineté de la nation grecque. Nous sommes revenus à la situation des
années 1960 quand Leonid Brejnev affirmait la doctrine de « souveraineté
limitée » des pays de l’Est vis-à-vis de l’Union soviétique. Ce qu’on fait
l’Eurogroupe et la BCE est l’équivalent financier de l’intervention soviétique
à Prague en août 1968. Nous sommes donc bien confrontés à une tyrannie. Il faut
en mesurer soigneusement toutes les conséquences.
On peut en déduire
que l’Euro n’est pas une monnaie, ni même un projet économique, mais qu’il est
un mode de gouvernement qui vise à imposer les règles du néo-libéralisme contre
l’avis des peuples. Telle est la conclusion logique des dénis de démocratie que
l’on a décrits et que le gouvernement grec, avec beaucoup de courage et un
grand discernement, ont permis de dévoiler. Le maintien de l’Euro ne se
justifie pas par des arguments économiques, mais essentiellement par la
volonté politique de
domination qui aujourd’hui s’incarne dans l’Allemagne, mais qui s’étend, que
l’on parle ici de « collaboration » ou de « syndrome de
Stockholm » n’a que peu d’importance, aux élites politiques de l’Espagne,
de la France et de l’Italie. De ce point de vue, l’absence de politique
française, ou plus précisément la servilité compassionnelle dont elle fait
preuve face à l’Allemagne sur la question de la Grèce est des plus
instructives. On ne peut que s’indigner de la passivité du Ministre des
Finances, M. Michel Sapin quand, le samedi 27 juin, M. Varoufakis a été exclu
de la réunion de l’Eurogroupe. Mais reconnaissons que cette passivité est dans
la logique de l’attitude française depuis le début. Rappelons ici qu’avant son
élection M. Alexis Tsipras n’avait pas été reçu par les membres du gouvernement
et du P « S »…
Ces comportements
signifient la fin des illusions en ce qui concerne la possibilité d’aboutir à
un « autre Euro » ou de « changer l’UE ». Il faut sur
ce point être très clair. De nombreuses forces se sont bercées d’illusions sur
ce point, que ce soit en Grèce, et c’est l’une des contradictions de Syriza, ou
en France, avec l’attitude du PCF et du Parti de Gauche. Toute bataille menée
de l’intérieur du système est appelée à rencontrer des obstacles tellement
formidables que l’on peut douter de son succès. James Galbraith, après beaucoup
d’autres, a écrit que seul le vote « non » au référendum du 5 juillet
pourrait encore sauver l’Euro [4]. Ce qui est sûr est que, paradoxalement, le
« oui » va accélérer la fin de l’Euro en mettant au jour la nature
réelle de la zone Euro. Le voile de la soi-disant « rationalité »
économique désormais déchiré, réduit à un mécanisme de domination, l’Euro se
révèle dans sa nature la plus odieuse [5]. Vouloir « changer » l’Euro
n’est plus aujourd’hui une simple erreur ; cela devient au vu de l’action
de la zone Euro envers la Grèce une stupidité criminelle. Il faudra d’urgence
que les différents partis qui ont joué avec cette idée se mettent rapidement au
clair sur cette question ou qu’ils assument de n’être que l’aile
compassionnelle de la tyrannie européiste.
Les erreurs
stratégiques de Syriza pèsent alors lourd, même si la manière dont la
négociation a été menée est digne d’éloge. Il convient de s’inspirer du combat
mené mais de ne pas en répéter les erreurs. Ne s’étant jamais mis au clair
sur cette question, le gouvernement grec n’a pu apporter au coup d’Etat financier
organisé par Bruxelles qu’une réponse bien incomplète. A partir du moment où la
clôture des comptesTarget2 des
entreprises grecques était constatée il devait réquisitionner la Banque
Centrale de Grèce pour que le pays ne se trouve pas à court de liquidité, ou
émettre des certificats de paiement (garantis par le Ministère des finances).
On rétorquera que cela aurait été interprété par l’Eurogroupe comme une rupture
définitive. Mais l’action de la BCE était bien l’équivalent de cette rupture.
Il n’est aujourd’hui pas dit que le « oui » l’emporte. Mais, s’il
devait l’emporter, ce serait bien parce que le gouvernement grec n’a pas voulu
aller jusqu’au bout de la logique dans sa lutte pour la démocratie.
Les leçons que l’on
doit tirer de ce qui se passe actuellement en Grèce, que ce soit en France ou
ailleurs, sont extrêmement importantes. Un gouvernement qui entrerait en
conflit avec l’Eurogroupe et avec l’UE sait désormais à quoi s’attendre. Les
risques de déstabilisation de la société sont immenses dès lors que l’arme
financière est utilisée sans restriction par la BCE. Devant ces risques, du
moins en France, nous avons une procédure d’exception qui est prévue par la
constitution : c’est l’article 16. Le précédent de la Grèce montre que les
pressions financières peuvent empêcher un fonctionnement normal des
institutions. Le pouvoir exécutif serait alors en droit d’user de l’article 16
pour gouverner par décret dans la période de crise et pour répliquer, du tac au
tac, aux actions venant de Bruxelles et de Francfort. »
Jacques Sapir – article publié sur
son blog le vendredi 3 juillet 2015
Les numéros entre
crochets renvoient à des notes en bas de pages que je n’ai pas reprises pour ne
pas alourdir. Elles incluent les liens vers les sources et figurent au pied du
même texte sur le site les Crises qui l’a repris ce matin.
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