"Si la capacité des cons à s'auto-éliminer ne doit pas être négligée, la volonté effarante du monde moderne et de l'Etat-providence à les sauver rend vain tout espoir de sélection naturelle"

"Il y a deux aristocraties : celle du haut et celle du bas. Entre les deux, il y a nous, qui faisons la force de la France.

mardi 21 décembre 2010

Ma crèche…

A l’heure où les responsables de la Croix Rouge britannique confirment que le personnel des 430 boutiques chargées de récolter des fonds a reçu ordre d’enlever tout signe de la fête chrétienne car ils pourraient offenser les musulmans ; à l’heure où l’on enlève les sapins des écoles et les crèches des lieux publics pour satisfaire le néant présumé rassurant de la sacro-sainte laïcité, je suis passé chez Suzanne, où l’on croise assez souvent le bon sens au coin du feu… Et j’en suis ressorti avec l’envie de vous parler de ma crèche.

Car ma crèche n’est pas comme les autres. Parce que c’est la mienne, évidemment, mais surtout parce qu’elle a son histoire. Elle n’est peut-être pas plus parlante pour les tiers, je vous l’accorde, que celles de bien d’autres crèches familiales aux beaux santons du commerce ( les Carbonnel sont mes préférés) établies avec Amour par des couples pour leur premier enfant puis étoffées au fil des générations.

D’abord, elle n’est pas comme les autres parce qu’elle est unique. Ses santons façonnés de façon peut-être un peu malhabile par des mains fatiguées et sans doute désespérées sont d’une glaise qui a manqué un peu de cuisson par souci d’économiser la consommation du four de la cuisinière. Ils n’en sont que plus fragiles et leurs couleurs non vernies commencent à souffrir de l’érosion du temps.
Pourtant, on sent bien la patte d’une artiste dans la gestuelle des personnages.

L’histoire de ces petits bonhommes de terre cuite est intimement liée à certaine page de notre Histoire dont on se garde bien de célébrer la mémoire. On sortait alors de la Libération (avec un L majuscule je n’ai pas besoin de préciser laquelle…) Ou plutôt, on n’arrêtait pas d’en sortir…

Quelques mots sur ma famille, tout d’abord, pour situer le contexte : Je ne sais pas d’où je sors mais je sais qui sont les miens, ceux par la grâce de qui je suis ce que je suis. Des gens "middle class" plutôt modestes qui ne se sont pas spécialement distingués durant ces heures glorieuses. Mais ce sont les miens…
- Bien sûr, ils ont pleuré et prié en fermant les yeux pour les malheureux que la Gestapo a pendu un jour devant eux par strangulation. Mais quoi qu’on en ait dit, ils savaient bien in petto que ceux-là n’étaient qu’un gang d’assassins crapuleux rançonnant l’arrière-pays. Ils ont depuis leur plaque de héros gravée dans le marbre. …
- Bien sûr, ils ont répondu à l’appel et tenu un poste de secours pour les FFI une fois amorcée la débandade des occupants. Mais ils ont pleuré en assistant impuissants, par le soupirail du poste, à l’agonie du petit polonais que j’évoque dans mon blabla de pied de page…
- Bien sûr, ils ont planqué des juifs chez eux plus d’une année durant au risque d’y passer. Mais ceux-là, une fois l’affaire réglée, sont partis sans un mot et, soi dit en passant, en emportant les petites cuillères... Pas de risque d’obtenir un certificat pour la médaille des justes…
Ma famille, donc. Une vraie famille française.

Et ma crèche dans tout ça ? J’y viens. Elle est née d’une femme. Un jour, les FFI ou présumés tels ont embarqué son mari. On ne l’a jamais revu. Elle a fait le tour des prisons, officielles ou non ; en vain. On ne se préoccupe pas des bavures des vainqueurs. Après tout, il devait bien avoir quelque chose à se reprocher… Point barre. Plus de revenus, tout le monde lui tournait le dos, pas question d’embaucher la femme d’un collabo, même pour faire des ménages. Une pestiférée… Noël se profilant à l’horizon, elle s’était mise à fabriquer des crèches pour essayer de les vendre et gagner trois sous. Personne n’en a voulu, surtout venant d’elle. Elle était au bout du rouleau. Et j’étais arrivé à la maison. Pour mon premier Noël, ma famille lui a acheté sa première crèche. Peut-être la seule qu’elle a vendue ; pour son Noël…

Je me souviens de l’étable et des maisons autour. Faites en cartons fort d’emballages, elles étaient magnifiques avec leurs toits de tuiles romaines rouges (en carton ondulé) On mettait une ampoule dedans qui éclairait les croisés des fenêtres. Il y avait aussi les grands cyprès vert sombre aux pinceaux en coton compacté. L’ensemble était criant de vérité…
Je dis je me souviens car il y a eu des moments difficiles… Il y a eu ces messieurs silencieux qui venaient évaluer ce que nous avions à vendre… La collection de timbres de l’aïeul, etc. Il y en a eu un à qui la crèche a plu. Sans doute cadrait-elle avec la taille de ses propres figurines pour revendre un ensemble ou décorer sa vitrine. Il a acheté tout le "foncier" de la crèche (et aussi l’éléphant et les deux chameaux aux flancs de feutrine rase) Ça m’a pincé le cœur. Mais il fallait… Et puis, je devais bien avoir douze ans ; j’étais grand, j’étais fort…

Mais il nous restait les santons ; l’essentiel, donc.

Nous avons bricolé une petite grange à foin pour abriter Marie, Joseph, le bœuf et l’âne avec la mangeoire de terre cuite. Rien que de la récup’. Et même maintenant, le santon de l’instituteur aux lunettes à la Marcel Achard ne sort jamais de son linceul de papier de soie ; en souvenir de ma mère. Elle ne le mettait jamais et m’avait dit qu’il lui faisait penser à un "boche". En fait, je sais bien qu’il lui rappelait un prof de cette infâme pension où ses parents qui ne voulaient pas d’enfants l’avaient fourrée tant d’années, vacances comprises…

Aujourd’hui, ma crèche est prête. Demain, mes petits enfants arriveront. Je sais qu’ils vont se précipiter pour revoir la crèche. Je sais que je les regarderai regarder la crèche et je sais aussi ce que je me dirai :

- Que je suis le plus heureux des hommes et que j’emmerde le monde entier.

Amen.

3 commentaires:

  1. Tiens, Plouc, pour faire écho à cette histoire de juifs recueillis qui se sauvent avec les petites cuillères (ce n'est pas de chance, tout de même!)

    Je connaissais un ancien policier (mort maintenant) qui, très jeune, avait participé à la rafle du Vel d'hiv. Il était père d'une fillette de deux ans et d'un nourrisson, vivait à Maisons-Laffitte et avait beaucoup de mal à trouver de la nourriture pour ses enfants. Il craignait de se faire prendre s'il s'adonnait au marché noir, et pourtant, aurait donné n'importe quoi pour un peu de lait ou quelques légumes. Après la rafle, il était malheureux, mais que pouvait-il faire ? Rentré chez lui, il a entendu du bruit dans sa cave. Un couple de juifs s'y était caché, avec un bébé qui pleurait de faim, aussi.
    Ce policier a hébergé la petite famille un certain temps, je ne sais plus si c'est quelques jours ou quelques mois. Un matin, ils sont partis, et les deux seules bouteilles de vin que le policier avait achetées le jour de la naissance de ses enfants pour les ouvrir à leurs vingt ans étaient vides.
    Huit ans après, la guerre était bel et bien finie. Le policier n'habitait plus à Maisons-Laffitte, mais à Argenteuil. La Poste l'a retrouvé tout de même, et lui a amené à domicile une caisse d'excellents Bordeaux et Bourgogne.
    Ce n'est pas fini.
    Ces juifs étaient devenus négociants en vins fins. Tous les ans, ils firent livrer au domicile du policier cinquante deux bouteilles, après avoir demandé que ces bouteilles soient ouvertes et bues, à raison d'une par semaine, comme on boit un vin ordinaire chez les gens sobres, juste un petit coup avec le fromage. Ces cadeaux ont duré quarante ans, jusqu'à la mort du marchand de vins.
    Ces juifs s'appelaient Gouin.

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