"Si la capacité des cons à s'auto-éliminer ne doit pas être négligée, la volonté effarante du monde moderne et de l'Etat-providence à les sauver rend vain tout espoir de sélection naturelle"

"Il y a deux aristocraties : celle du haut et celle du bas. Entre les deux, il y a nous, qui faisons la force de la France.

jeudi 6 décembre 2012

De la guerre et de mon pote le Martien…



Republication (très élaguée) d’un billet, beaucoup trop long et dispersé, déjà  posté ici il y a exactement deux ans.   

Question préliminaire idiote : Quand est-on en guerre et quand ne l’est-on pas ? Durant les HLPSDNH (c’est à dire depuis toujours jusqu’à avant-hier soir) la réponse était fastoche. De nos jours, c’est plus compliqué. Mais le critère de base est inchangé : Pour qu’il y ait guerre il faut qu’il y ait un ennemi. C’est quoi ça ? Chacun de nous fait quotidiennement l’agaçante expérience d’être environné d’inévitables connards véhéments qui nous pompent l’air. Il y a de tout ; des Séraphin Lampion, des Hilarion Lefuneste, des fâcheux, des collants aux paluches moites, des procéduriers, des rivaux en amour, des briseurs de carrière, des concurrents en affaires, etc. Mais chacun d’eux n’est qu’un inimicus, un enemy, un adversaire, quoi… Alors, un ennemi, c’est quoi ? Je veux dire un hostis, un foe, un hostile pour causer comme nos soldats… Qu’est-ce qui distingue l’ennemi de tous ces guignols? D’abord, pour justifier la guerre, il s’agit nécessairement d’un ennemi public, collectif, et pas de mon ennemi privé. Qui donc alors ?

Carl Schmitt écrivait dans La notion de politique :
"L’ennemi ne sera pas nécessairement mauvais dans l’ordre de la moralité ou… (…) Il se trouve simplement qu’il est l’autre, l’étranger, et il suffit, pour définir sa nature, qu’il soit, dans son existence même cet être autre, étranger et tel qu’à la limite des conflits avec lui soient possibles qui ne sauraient être résolus ni par un ensemble de normes générales établies à l’avance, ni par la sentence d’un tiers, réputé non concerné et impartial. (…) Dans la situation extrême où il y a conflit aigu, la décision revient aux seuls adversaires concernés ; chacun d’eux, notamment, est seul à pouvoir décider si l’altérité de l’étranger représente dans le concret de tel cas de conflit, la négation de sa propre forme d’existence, et donc si les fins de la défense ou du combat sont de préserver le mode propre, conforme à son être, selon lequel il vit."

Bon. Autrement dit, l’autre cesse d’être seulement autre pour devenir mon ennemi dès lors qu’il se révèle être celui qui remet en question ce que je suis, dans mon existence même, et cela radicalement, totalement, (
létalement…) Donc, sans me laisser d’autre alternative que la soumission sans condition (c’est à dire la négation, la disparition existentielle de ce que je suis) ou le recours à la violence, à l’état de guerre….
Et la guerre n’est pas une opération de police puisque sans recours possible à quelque arbitre ou règle du jeu que ce soit. Il n’est plus question de pantalonnades du genre riposte proportionnée. Ou de pleurer sur des dommages collatéraux. La "guerre en dentelle" n’était pas la guerre ; c’était un truc d’aristos respectant une même règle du jeu. La vraie guerre, elle, est totale ou n’est pas et on y fait feu de tout bois. Reste à savoir qui, dans une communauté de destin, a la responsabilité de désigner l’ennemi et de décréter l’état de guerre…

S’agissant du pouvoir politique, citons quelques lignes de la préface de Julien Freund à l’édition en français de l’ouvrage de Carl Schmitt cité plus haut :
"- (…) Autrement dit, toute politique implique la puissance ; elle constitue un de ses impératifs. Par conséquent, c’est agir contre les lois même de la politique que d’exclure d’emblée l’exercice de la puissance, en faisant par exemple d’un gouvernement un simple lieu de concertation ou une simple instance d’arbitrage à l’image d’un tribunal civil. Et puisque par essence la politique exige de la puissance, toute politique qui y renonce par faiblesse ou par juridisme cesse aussi d’être réellement de la politique, parce qu’elle cesse de remplir sa fonction normale du fait qu’elle devient incapable de protéger les membres de la collectivité dont elle a la charge."

Mais j’en reviens à l’ennemi car il me faut évoquer un confusionnisme cognitif qui, de nos jours, handicape la capacité de discernement de l’homo postsapiens (
le bisounoursus boboïdus festivus xénophilus momentanément encore érectus comme diront les ethnologues…) : Sous l’effet d’un martèlement éducatif et médiatique systématique de grands principes, l’homo postsapiens a perdu la notion du Bien Commun et ne voit dans l’autre (l’Autre surtout…) que l’individu dans sa dignité personnelle unique, artificiellement extrait de son être social, donc extrait du réel. Il en résulte que devant chaque fantassin de l’ennemi, il ne voit que l’homme. Et il ne fait pas l’amalgame. Bien sûr, c’est comme dans les tranchées de 1917 : De chaque côté le même brave type qui a la même chiasse, la même peur au ventre, aime pareillement sa femme, élève dignement ses gosses… De plus, il a peut-être été enrôlé de force et voudrait bien être ailleurs. Seulement, il est né de l’autre côté… Bien sûr, on ne peut pas le lui reprocher personnellement. Seulement voilà : Le gus veut légitimement "préserver le mode propre selon lequel il vit." Et ça c’est au prix du tien. Mais l’homo postsapiens ne voit pas, ne veut pas voir, ne peux plus voir que le brave type n’est pas seul.
A ce jeu-là, l’homo postsapiens ne peut qu’actualiser le slogan que braillait déjà son père : "Plutôt Rouge que mort !"

Pourquoi toutes ces considérations plus ou moins académiques ? Simple remise de la jugeote à peu près au carré avant de lire ce qui suit :

Figurez-vous que mon indécrottable charité chrétienne m’a conduit à héberger chez moi un gus plus exotique que ceux auxquels vous pourriez penser. D’un look surprenant que je ne saurais décrire, haut comme trois mégots et à la carnation aussi verdâtre que translucide, ce type est au demeurant fort civil. Par facilité je l’appellerai le Martien mais j’ai compris qu’il venait de beaucoup plus loin… Il est journaliste, travaille pour un grand média de son monde à lui et est chez nous pour son boulot. Et vous savez quoi ? Il est ici en qualité de correspondant de guerre !!! Chez lui, on sait que c’est ici la guerre !

Mais de quelle guerre il cause !? Il m’a patiemment expliqué notre histoire vue de chez lui : Progressivement, toutes les nations développées, civilisées, innovantes, etc. ont perdu de vue l’origine de leurs fondamentaux et se sont laissées aller au fil de divers Anschluss et traités à se placer sous l’édredon rassurant et reposant d’un Empire du Bien (EB) dans un mélange de convictions de supériorité néocolonialiste démocratico-éthique et de repentance donnant bonne conscience à ses composantes. Corrélativement, un ensemble aussi hétéroclite que cohérent d’autres sociétés s’est placé sous la houlette de ce que mon hôte appelle la Communauté du Sud (CS ; mais on dit aussi Oumma, je crois…) Cet ensemble-là se caractérise par trois facteurs : Un immobilisme absolu qui le rassure sur lui-même, une démographie prolifique qui dynamise son optimisme et un ressentiment qui conforte et valide sa volonté de puissance et d’impérialisme colonial nouvelle manière. Tout oppose ces deux entités qui ne se reconnaissent aucun arbitre commun possible. CS a entrepris de faire la guerre à l’EB… Elle a commencé.
J’ai naïvement demandé à mon Martien auprès de quel camp il était accrédité comme correspondant de guerre. "- Mais les deux, capitaine Plouc ! J’ai pas de problème de check-point, le front est partout, il passe à votre porte !"

Mon Martien est consciencieux. Il expédie chaque jour son papier sur l’avancement du conflit et a la gentillesse de me le laisser lire. Il s’intéresse à tout, tant il est vrai que la guerre est totale ou n’est pas. Guerre économique, psychologique, morale, sanitaire, sexuelle, démographique, etc. Et ses papiers sont pleins d’anecdotes qui raviraient nos futurs historiens. Par exemple :
- S’agissant de la guerre psychologique, pour ne pas inquiéter les siens l’EB évite de diffuser les violentes harangues quotidiennes et bestiales d’appel au meurtre éructées par les leaders les plus violents de la CS. En revanche, elle offre avec gourmandise une tribune aux porte-parole de la CS dès lors qu’ils paraissent présentables et rassurants. Parallèlement, l’EB s’emploie activement à poursuivre et condamner ceux des siens qui critiquent ouvertement la CS…
- S’agissant de la guerre économique, l’EB veille à octroyer des libéralités aux instances de la CS afin de leur permettre de s’équiper et de nourrir leurs populations. Chez lui, l’EB subventionne à tour de bras les implantations tactiques de la CS et lui fournit même gracieusement des terrains…
- S’agissant de la guerre sanitaire, l’EB soigne gratuitement les fantassins de la CS qui se présentent et accueille leurs chefs pour leur faire bénéficier des soins les plus sophistiqués. En corollaire, l’EB veille à réduire autant qu’il le peut la couverture sociale de ses ressortissants en renforçant sa politique de déremboursement …
- S’agissant de la guerre démographique, l’EB confirme son intention de placer les Allocations Familiales des siens sous conditions de ressource. En revanche, l’EB n’envisage pas de restreindre la possibilité pour la soldatesque féminine de la CS de faire valoir son droit à la gratuité totale des traitements d'aide médical à la procréation…

Je comprends mieux pourquoi, durant nos conversations, tout en éclusant mes réserves de 15 ans d’âge, mon Martien cherche à comprendre comment nos cerveaux sont fabriqués. A voir son air de perplexité, il semble qu’avec moi il n’est pas tombé sur le bon spécimen pour avoir une explication…

La collection complète des papiers que mon Martien envoie quotidiennement à sa rédaction donnerait matière au synopsis d’un film ambitieux qui ferait date ; une grande fresque genre Le Docteur Jivago du XXI° siècle (
ou un film d’épouvante de série B) Mais n’y comptez pas. Le scénario est trop invraisemblable pour trouver preneur. Je vois d’ici les critiques unanimes à la sortie en salle : "Intrigue simpliste et manichéenne où les protagonistes de la Communauté du Sud évoluent systématiquement dans un contexte moyenâgeux stigmatisant avec des scènes dignes des plus mauvais films gore. Quant aux réunions d’état-major de l’Empire du Bien, on se croirait dans un salon de thé pour vieilles retraitées filmé à l’heure creuse de l’après-midi par une caméra de surveillance…"

Qui pourrait y croire ?

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