André Bergeron est mort. Ça se fait souvent quand on
affiche 92 balais au compteur…
Vous n’en avez rien à foutre. Pourquoi donc évoquer ici
sa mémoire ? Parce que je l’avais fait l’an dernier pour Pierre Mauroy et qu’il n’y a pas de raison d’en
priver André, sa mort m’ayant pareillement amené à méditer sur le changement
radical d’époque.
Bergeron aura été un exemple parfait, tout à la fois, du Français moyen d’une autre époque et de
l’apparatchik indispensable au fonctionnement d’un système révolu. Un modèle
standard de "Français moyen" désormais obsolète et objet de dérision.
Et le modèle-type des lubrifiants d’un système s’étant nourri de la croissance des
"trente glorieuses" puis de ses beaux restes jusqu’à
épuisement ; un système dont on
tente encore aujourd’hui de maintenir la mémoire en psalmodiant les mots
désormais vides de sens : "modèle
social français" et "partenaires
sociaux"…
André Bergeron incarnait la moyenneté raisonnable d’un peuple laborieux et volontaire qui
croyait dur comme fer au progrès et
aux vertus d’un ascenseur social qui
n’était pas un vain mot. Originaire de Belfort, fils de cheminot, ouvrier
d’imprimerie ayant longtemps vécu en HLM, sa femme s’appelait Georgette… Un
Français d’avant… Une autre époque !
Apprenti typographe âgé de quatorze ans, il fait les grèves
de 36 sous le Front Popu. Dès lors, il se voudra avant tout syndicaliste. Réticent
devant l’ingérence des partis politiques dans le syndicalisme il quitte la
SFIO. A la CGT, il s’inscrit dans la mouvance refusant la mainmise communiste
sur la confédération et, lors de la scission, devient et restera toute sa vie
un permanent du nouveau syndicat CGT-FO. Comme disait Coluche : "FO, le syndicat qu’il vous fâut !"…
Treize ans plus tard, il deviendra secrétaire général de la
CGT-Force Ouvrière et le restera 26 ans. Rendez-vous compte ! De 1963 à
1989 ! L’âge d’or du syndicalisme pantoufle :
- Les besoins de la reconstruction puis le coup de fouet donné par la
politique industrielle volontariste de De Gaulle, le quasi plein emploi et la
continuation de la croissance jusqu’au choc pétrolier de 73 rendaient faciles les
avancées sociales et la sédimentation
des droits acquis. Suffisait de
demander en faisant un peu de foin pour la forme… Lors des accords de Grenelle
en mai 68, auxquels participa évidemment Bergeron, le patronat était d’ailleurs
à bien des égards prêt à aller plus loin que le Gouvernement. Tout le monde
avait de la marge…
- Les moyens ne manquaient pas. Adossé à l’institution du "monopole
syndical", l’invention de la gestion
paritaire, bien pratique, permettait (et permet toujours) à tous et à chacun de se sucrer de juteuses prébendes sur la bête tous
azimuts, de la Sécu à la formation professionnelle…
- Chacun avait ses forteresses. Par exemple, pour FO dans les hôpitaux… On tenait les troupes et, de toutes façons,
on n’avait (on a certes
toujours) de comptes à rendre à personne. Et
on pouvait compenser un manque de cotisants grâce à la guerre froide. Si la CGT pouvait compter sur Moscou, FO, via la
CISL, était alors rassuré sur ses fins de mois grâce aux largesses de la CIA…
Bref, tout baignait…
Une autre époque, disais-je…
Aujourd’hui, c’est fini. Seul le manque de courage de nos gouvernements
successifs assure la survie d’une caste de prébendiers que les réalités du
temps auraient dû contraindre depuis longtemps à vendre leur énorme patrimoine
de châteaux et de manoirs comme toutes vieilles noblesses désargentées.
En effet, il n’y a plus de croissance, plus d’emploi, plus de guerre
froide, plus rien pour faire tourner la machine comme avant.
Et puis, surtout, la classe ouvrière
n’existe plus. Et ce ne sont plus les quatre
vieilles (CGT-CFDT-FO-CFTC) qui font chauffer le moteur au point-mort de la
Bastille à la Nation avec les syndicats de chômeurs et collectifs de
sans-papier…
Il est fini le temps où l’on tenait
les troupes. Elles passaient sagement, à la sortie des usines, entre les pointeaux
du patron et les permanents encore plus vigilants du syndicat ! Aujourd’hui,
plus d’OS à la chaîne en 3x8 ni d’ouvrières du textile. Ils sont
chauffeur-livreurs seuls dans leurs bahuts avec le plan de leurs tournées et
vendeuses de prêt-à-porter made in China seules avec la patronne dans la
boutique… Allez les tenir avec ça !
On prétend s’attaquer aux monopoles des professions
règlementées. Maintenant qu’André Bergeron n’est plus là, ça ne le
chagrinera plus si on ouvre à la concurrence la profession
règlementée des partenaires sociaux…
Le look du panneau est aussi d'une autre époque...
Vous êtes sévère... C'était quand même une époque où l'on pouvait rire.
RépondreSupprimerAujourd'hui, sourire est suspect.