J’évoquais un jour le concept d’Afrique boréenne pour désigner cette improbable excroissance résiduelle du vaste continent asiatique (encore appelé Europe) qu’un phénomène tectonique est en train de rattacher à l’Afrique sans raison géologique apparente. Le glissement des plaques démographiques est bien évidemment la cause de ce phénomène mais ne suffit pas pour en expliquer l’actuelle accélération à une vitesse en progression géométrique…
Cette accélération résulte, me semble-t-il, du comportement totalement différent des deux plaques continentales qui sont en contact : l’une s’insère superficiellement dans l’autre, l’autre s’y intègre vigoureusement…
J’ai compris cela en lisant [*] le rappel du sens des mots par Malika Sorel, géologue à sa manière, qui ne cesse de rappeler avec clarté les mêmes évidences terre à terre :
"L’insertion, c’est l’obligation de respecter les normes collectives d’une société, les règles du “bien-vivre ensemble”, même si l’on ne partage pas la même culture. C’est ce que font les expatriés français à l’étranger, par exemple. L’intégration, c’est plus profond : c’est le fait de se sentir concerné par une communauté de destin avec les Français. Cela se traduit, concrètement, par la transmission à ses propres descendants des fondamentaux qui composent le noyau identitaire français, ce que l’on nomme le legs ancestral. C’est un long processus qui, lorsqu’il réussit, aboutit à l’assimilation."
Or donc, l’Afrique ne submerge pas l’Europe contrairement à ce qu’affirment fallacieusement les obscurantistes de la Réacosphère et j’en suis navré. Non, elle s’y insère. Et encore ! Elle le fait avec retenue et en surface seulement. Oui, oui ! Je vais y revenir….
L’Europe, en revanche, avec toute la force de l’énergie qu’elle a accumulée au cours de son égoïste phase de boulimie coloniale, violente l’Afrique. Elle se pousse en elle pour s’y intégrer, impatiente de s’y assimiler…
Relisez Malika, c’est tout à fait ça…
Regardez les Africains. Jamais ils n’auront l’indélicatesse d’aller visiter nos monuments, cathédrales et musées, de contempler les merveilles de nos sculptures (qu’elles soient de Michel-Ange, de Maillol ou de Franz West…), de s’inviter normalement aux bals du 14 juillet, de manger du cervelas en buvant un canon, de réveillonner à la Saint-Sylvestre ou d’encombrer nos cimetières… Ils demandent juste de pouvoir s’insérer, juste ce qu’il faut (carte Vitale, etc.)
Nous autres, Européens, nous voulons être eux sans l’être. Nous les exaspérons à leur tourner autour comme le caniche qui fait fête à son maître et bave sur son pantalon en jappant "Droit à la Différence !" tout en croyant voir en l’homme un chien comme lui (mais dominant…), ce qui nie leurs identités… Nous les saoulons comme l’amoureux transi qui fait le siège de la belle indifférente ; c’est du harcèlement ! Et ça n’arrête pas :
On ne sait plus où donner de la tête. Tenez, on doit pouvoir remplir un numéro entier de Pariscope avec les expositions des merveilles africaines où iront s’esbaudir des foules de Caucasiens mais guère d’Africains (super- ou sub-sahéliens)
- Je vous recommande, entre autres, l’expo 30 et Presque-Songes à la Maison Revue Noire (sic) consacrée à des artistes contemporains awficains. C‘est sur l’initiative d’un artiste malgache qui définit "qu’être contemporain, c'est se trouver soi-même n'importe où" (ça plait à Attali) et se dit inspiré par un poète compatriote qui chercha une voie entre deux cultures, celle de l'oppresseur et celle de l'oppressé. Il y a plein de trucs sympas : Un camerounais expose des pièces d’un Euro refondues à son effigie et enfilées sur des rubans ; Une présentation de photographies froissées de transsexuels de l'océan Indien ; Une installation de charbon et de craie d’un écrivain haïtien, etc. Bien entendu, toussa avec un budget global d'environ 370.000 €, financement essentiellement assuré par le "Programme d’appui de l’Union Européenne aux industries culturelles ACP" [ACP = Asie-Caraïbes-Pacifique]
- Il y a aussi la grande exposition des statues Dogon au Quai Branly. Là, je ne m’étends pas, je vous laisse aller en lire la promo faite sur le torchon Slate.fr par Anne Khady Sé, journaliste sénégalaise dont les papiers plus politiques sur la Côte d’Ivoire étaient souvent assez lucides. Là, elle suit docilement la ligne du site : "Il faut profiter de l'art Dogon exposé au musée des arts d'Afrique, d'Asie, d'Océanie et des Amériques à Paris sans se laisser submerger par la culpabilité de l'ex-colonisateur" et elle délaye la sauce… Les souchiens d’Auteuil-Neuilly-Passy vont se précipiter…
- Après de gros travaux et sans communiquer le prix de ce mécénat, la maison Chanel vient de faire don à l’Institut du Monde Arabe d’une structure gonflable de 600 m² pour accueillir diverses expositions d’artistes contemporains arabes.
- A Nantes, une assoc’ présente un projet de bateau pédagogique : la construction d’une réplique d’un navire négrier du XVII° siècle pour mieux toucher du doigt l’histoire de l’esclavage et jeter un pont entre le passé et l’avenir… (on parle d’un projet de 7 millions d’euros…)
- Dans un autre genre, pour aller à marche forcée vers toujours plus d’intégration, les révélations indiscutables et/ou scientifiques se succèdent à une cadence d’arme lourde. Celle que j’évoquais ici il y a déjà trois semaines n’ayant pas fait un buzz (la peur du ridicule joue encore…), on s’est dépêché de sortir du chapeau l’étude du Néo-Zélandais Atkinson parue dans la revue Science. Il ressort de ce pavé que plus une langue est parlée loin de l’Afrique plus elle est pauvre en phonèmes. "Au fil des millénaires, en s’éloignant de son berceau originel africain (dit-on) l’homme a perdu des phonèmes tout comme il a perdu de sa richesse génétique…" Si, si, puisqu’on vous le dit… Je ne m’étends pas, d’autres l’ont déjà fait…
Ce ne sont pas des secousses sismiques, même de niveau 1, juste des signes, comme ces pierres se décrochant des aiguilles Rouges qui nous rappellent que le plissement quaternaire n’est pas fini et que la vallée de Chamonix se rétrécit d’année en année. L’Afrique est immuable, c’est l’Europe qui s’impose des contorsions pour en devenir les marches boréenne, pour s’y dissoudre.