Induit par le capitalisme marchand, n’ayons pas peur
des mots, le développement exponentiel des innovations techniques et des procédés
industriels tout au long des XIX° et XX° siècles a apporté tous les bienfaits
que nous connaissons. Bienfaits dont le plus remarquable est sans doute, dans
nos sociétés aux ventres pleins, l’espérance statistique de finir
centenaire-grabataire-Alzheimer entouré de mercenaires bronzés dans un EHPAD au
lieu de clamser bêtement septuagénaire entouré des siens dans sa maison pour la
plus grande joie des caisses de retraite.
Puis, au mitan du précédent siècle, ledit capitalisme
marchand devint suspect à beaucoup. Il est vrai que l’on sortait alors
exsangues de deux épisodes dramatiques qui nous avaient ruinés au physique
comme au moral. Et, dans de tels moments, on tend à serrer les rangs, donc à
privilégier l’intérêt collectif plutôt que l’individuel. Il s’en suivit un raz
de marée de nationalisations. Dans le contexte de l’époque (reconstruction, etc.) on comprend que les Etats aient voulu aller au-delà
de leurs strictes missions régaliennes en ayant la maîtrise d’autres secteurs (finance, énergies,
infrastructures, etc.)
Malheureusement, les a priori idéologiques aidant, on s’est mis à nationaliser
à tout va toutes sortes d’entreprises laissées sur des marchés concurrentiels,
nonobstant l’adage de bon sens "à chacun son métier"…
Bref, dès les eighties
du précédent siècle, la mode aidant (Thatcher, Reagan, chute du mur, etc.), on se lança avec ardeur dans les privatisations.
Le plus gros (ou le plus facile, ce qui peut se valoriser en bourse) étant fait (de la Poste au nucléaire, des énergies aux banques,
des routes à l’armement…), on
continue de chercher jusque dans les rainures de parquet ce qu’on peut encore privatiser, c’est-à-dire ce qui peut
être sorti des dépenses publiques pour en confier la charge (y compris la plus contrariante : les décisions de
gestion à prendre…) au privé.
Et le "privé", ce n’est pas que les "grands groupes", c’est
aussi les personnes privées…
C’est ainsi que toutes les décisions relatives, par
exemple, à la santé reproductive, aux comportements sociaux, jusqu’au choix des
identités sexuelles sont progressivement privatisées.
Ce sont devenus des biens privés de leurs détenteurs (usus, fructus et abusus) sous la protection du droit de propriété garantit
par l’Etat qui s’en lave les mains.
Pareillement, le droit du travail s’achemine doucement
vers sa privatisation, son uberisation,
où chaque "agent économique" valorisera son labeur comme il voudra ou
pourra...
Reste la Démocratie. Dit-on…
Il est vrai qu’en dépit des grandes envolées lyriques
(euh…) d’un Hollande, d’une Duflot (tiens ! pourquoi penser à celle-là ?), etc. on sait bien que, notamment pour leur santé
mentale, ce qu’ils racontent ils ne sont pas obligés de le penser. En dépit ce
ça, disais-je, nous savons bien que la seule utilité résiduelle de ladite
Démocratie se limite concrètement, bestialement, à un formalisme de procédure
dont la finalité ultime est de sélectionner périodiquement le guignol qui sera
mandaté pour gérer la boutique. Chez nous, c’est tous les cinq ans. C’est comme
ça mais ça pourrait être autrement ; à chaque mort d’évêque par exemple…
Les candidats à la fonction sont nombreux. Et selon
une loi statistique jamais démentie, plus ils sont nombreux plus la moyenne de
l’échantillon tend au médiocre. Cette médiocrité d’ensemble, voire la totale
inadaptation de certains au poste, y compris dans la short-list, tient d’ailleurs peut-être à l’impuissance de fait du
titulaire, à son incapacité à peser sur le réel, puisque quasiment tout a été
privatisé et qu’on n’attend de lui que l’ultime privatisation de la fonction
publique régalienne. Bref, le genre de job peu attractif pour tout individu
normalement câblé à l’esprit délié et doté d’une légitime ambition. En
contrepartie, il est vrai, il a droit au tapis rouge et toutes ces sortes de
choses. Surtout, on lui fait un CDD reconductible de 5 ans fermes, ce qui n’est
pas négligeable en ces temps où même les retraités vont finir par devoir opter
pour le statut d’autoentrepreneur…
Il revient donc à une clique de plus-ou-moins-médiocres
la charge de choisir un médiocre (parce que, hein, le vote du mois de mai n’est jamais
qu’un rituel de consécration) et c’est
chaque fois plus barbant. Certes, le (vrai) jury se fout de ce que le type fera une
fois élu puisqu’il ne pourra de toutes les façons rien faire de sérieux. L’important n’est pas là ;
L’important, c’est la place que chacun aura dans l’après et quels privés
auront l’oreille de ce Patron virtuel… Sans bilans
de compétence préalables, inutiles dans le cas d’espèce, faute de prévoir
des entretiens d’embauche
que-ça-se-fait-pas, on a inventé les primaires
pour se défausser du problème tout en le gérant parce qu’il ne faut pas
déconner quand-même !
Et là, on atteint le sublime !
Dorénavant, par la grâce de circonstances fortement
aidées par l’erreur historique du précédent choix, la désignation du futur
"incapable de fait" se fera en six tours de scrutin étalés sur six
mois. :
1°- En novembre, un vote organisé par une personne morale privée A suivant des règles qui lui sont
propres, sur la base d’un corps électoral indéterminé
au suffrage censitaire. Destiné à
sélectionner le candidat qui représentera les intérêts de ladite personne
privée A au 5° tour, le scrutin sera
ouvert à quiconque voudra à condition de verser le cens. D’ores et déjà, les tenants de la personne morale privée B sont ouvertement invités à venir y
voter pour choisir le champion de A
qui leur convient le moins mal ou le mieux et pour lequel ils ne voteront pas –
du moins au 5° tour…
2°- Huit jours
après, rebelote entre les deux finalistes de A avec une participation qui pourra être très différente en
fonction des résultats du 1° tour quant au choix, notamment, des tenants de B s’étant déplacés…
3°- En janvier, une fois connu et analysé le résultat
chez A, la personne morale privée B
organise son propre vote suivant des règles qui lui sont propres, sur la base
d’un corps électoral toujours indéterminé
au suffrage censitaire. Là, il est
peu probable que les tenants de A
viennent troubler le jeu car tout le monde devrait en principe s’en foutre…
4° - Huit jours après, rebelote entre les deux
finalistes de B…
5°- En mai, enfin, dans un scrutin dont le corps
électoral est enfin connu et le déroulement enfin placé sous le contrôle de la
loi, les champions de A et B se retrouveront avec un tas d’autres
pour se tirer la bourre afin de savoir lequel ira en dernière semaine affronter
la candidate de la personne privée C
que l’on nous vend depuis cinq ans comme sélectionnée d’office pour le 6° tour.
C’est fort probable mais pas certain. Comme est très probable sans être certain
que c’est A qui sera l’autre
finaliste, B ne faisant que de la
figuration, peut-être noyé dans le peloton…
6°- Quinze jours après, si rien ne change, on assistera en apothéose à la victoire
minutieusement programmée de A,
sauveur de la Fwance. Victoire d’un chouïa peut-être mais assurée si nécessaire
par la quinzaine de la haine
résistance citoyenne durant laquelle on n’aura pas eu besoin (ouf !) de débattre projet contre projet…
Dès le lendemain, l’élu du peuple verra sa cote
de popularité plonger et s’emploiera à ne rien faire qui fâche pour tenir
la distance. Mais c’est sans importance…
Car l’essentiel est sauf : le système étant ce
qu’il est devenu, la caste dirigeante des grandes organisations privées et
leurs obligés des élites boboïformes, des media et de la kultur
subventionnaires se seront aisément appropriés la fonction
présidentielle ; celle-ci n’étant même plus mise aux voix mais mise aux
enchères au mieux disant par suite de la lassitude provoquée par l’inanité
de l’actuel titulaire.
Et soumissionner à un appel d’offre, ça le consortium
privé en question sait faire. Pour consolider la candidature de son poulain (euh… plutôt vieux cheval de retour) et bloquer la concurrence, il tente de le faire adouber
par un association privée (A) présumée
porteuse de la victoire finale ; et cela dans le cadre d’une élection
"interne mais ouverte à tous" selon des règles juridiquement
comparables à celle d’un club de bridge, bricolées sur un coin de table par des
guignols de la stature d’un Copé ou d’un Lemaire. On est loin du Conseil
Constitutionnel...
Au final, on assiste bien à la privatisation de la démocratie. Certes, je ne suis pas naïf et ne
me faisais guère d’illusions mais, cette fois-ci, la chose paraît
officiellement actée et admise par toulemonde…
Vous lirez avec profit la contribution
de Régis de Castelnau chez Causeur. J’insiste.
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